Compte rendu de la session du 23/01/2017
C’est la session de rentrée de janvier 2017 du club Galilée. Philippe Chazal souhaite d’abord à tous une très bonne année et annonce le programme de sessions à venir.
Aujourd’hui les questions de financement, au mois de février, nous accueillerons Nathalie Sonnac, membre du CSA, qui va publier un rapport sur la distribution et nous traiterons lors de la session cette question, au mois de mars probablement une séance avec la préfète des Hauts de Seine, pour voir concrètement les actions en faveur de notre secteur que peuvent engager les représentations des administrations centrales en région et dans les départements.
Entre mars et avril parallèlement, quelques séances consacrées à des rencontres politiques, des invitations ont été lancées chez Les Républicains et à En marche ; au PS bientôt en attendant le second tour de la primaire.
En avril, après le MIPTV, nous demanderons à un panel de dirigeants français d’intervenir dans le cadre du Club Galilée. Ils sont responsables dans de nouveaux postes et auront à nouveau l’occasion d’exposer leurs stratégies.
L’objectif aujourd’hui est d’ouvrir des pistes nouvelles de financement pour nos entreprises et nos créations que représentent nos intervenants ; cela nous permettra en plus de mettre en perspective de nouveaux enjeux économiques et financiers du secteur audiovisuel.
Jérôme Bodin de Natixis prend la parole en premier sur les masses économiques et le poids des acteurs pour contextualiser notre débat et déterminer où on se situe, comment le paysage français se différencie de ses voisins européens. Pour cela il faut tout d’abord repartir des différents modes traditionnels de financement, le débat se concentre sur certains dispositifs : les recettes publicitaires, la redevance et les aides publiques, les dispositifs d’aide, le financement par prêt bancaire, les capitaux propres, et l’autofinancement.
Il existe une forme de dualité entre des entreprises de taille significative à l’échelle française qui sont surcapitalisées, en situation de trésorerie excédentaire structurelle. Il s’agit des diffuseurs. Elles restent stables, avec peu d’investissements. Et à une autre extrémité sous capitalisés, les producteurs.
En Allemagne, au Royaume Uni ou aux Etats Unis, par exemple, la situation est différente, les groupes diffuseurs et producteurs s’endettent, la masse financière circule mieux dans les autres pays européens qu’en France. Et cette dualité avec de l’attentisme d’une coté et un émiettement de l’autre est très pénalisante pour notre pays.
Un secteur trop fragmenté
Sur le plan financier donc des spécificités françaises : notamment une problématique d’autofinancement particulière. En second lieu, des capitaux propres relativement peu développés, avec peu de nouveaux investisseurs.
Les 10 super structures de l’industrie de l’audiovisuel ont la même structure capitalistique depuis les années 80, elles sont restées telles qu’elles se sont structurées. Ainsi, le secteur est relativement figé au niveau de la cession. Peu de vendeurs et des problèmes de passage de témoins entre générations sur certains actifs.
Jérôme Bodin explique que le secteur est trop fragmenté. Il faut aussi chercher à faciliter des micro investissement et recréer les conditions de la concurrence en dynamisant par le bas.
Les deux réformes sont liées pour que la dynamique sectorielle prenne. Il souligne que la France bénéficie d’une industrie bancaire solide, diversifiée, avec une gestion du risque différente du modèle anglo-saxon. Il est nécessaire, selon lui, de sortir des modes de financements traditionnels pour créer de la diversité, des capitaux, du challenge. L’enjeu ne peut venir que de la règlementation.
Philippe Chazal rappelle que la règlementation en France reste enserrée dans des dogmes. Il est important d’insister sur les deux tendances émiettement et concentration. Il cède la parole à Judicaël Perrin de la banque Palatine pour illustrer le point de vue du secteur bancaire spécialisé sur ces différents points.
Judicaël Perrin a rejoint la Banque palatine en 2005 dont le but est d’accompagner des entreprises et des dirigeants d’entreprises plus particulièrement sur le marché des ETI (entreprises de taille moyenne), qui correspond à des sociétés qui n’ont pas forcément accès à toute l’ingénierie bancaire mais expriment des besoins sur mesure.
Palatine a ainsi commencé à s’intéresser au secteur audiovisuel. En 2010, Judicaël Perrin et ses équipes se sont rendu compte que le secteur était finalement assez bipolaire avec peu de grands comptes. Sur ce secteur, la référence pour avoir besoin de Palatine c’est un producteur qui fait au moins un long métrage ou un unitaire par an. Ils ont alors identifié 200 sociétés du secteur avec qui Palatine a vocation à travailler, une centaine aujourd’hui ont recours aux services de la banque. Les enjeux restent d’élargir et d’approfondir, pour tout l’écosystème audiovisuel producteur, diffuseur, distributeur, industries techniques.
La fin du système de préfinancement ?
Judicaël Perrin ajoute qu’il s’agit d’un secteur intéressant dans lequel personne ne peut faire un film tout seul. Pour une banque il faut être à tous les endroits de la chaîne pour comprendre. A l’intérieur du groupe BPCE, un autre établissement Coficiné est d’ailleurs spécialisé dans le financement des projets, car Palatine a fait le choix de ne pas financer directement les projets mais de participer aux crédits de production et de développement. « Une entreprise médias c’est avant tout une entreprise, 80% des besoins sont à peu près les mêmes que pour les autres, les spécificités on a appris à les adresser », rappelle-t-il. Palatine est en phase avec l’évolution du marché.
C’est aussi un secteur dans lequel les plans de financent des films ont peu évolué, on reste majoritairement sur des systèmes de préventes. Seulement, ce même système rencontre ses limites si on veut aller sur des projets avec une dimension plus internationale donc du développement plus cher pour une qualité de projets de taille supérieure. Dans cette perspective, il faut réfléchir à de nouveaux relais de financement.
C’est un schéma qui vient compléter le système existant. Judicaël Perrin observe que le cinéma français va bien mais qu’il lui manque de l’argent pour accompagner les chefs d’entreprise qui ont envie d’aller plus loin et de constituer ces « groupes du milieu ». Ce sont ces acteurs qui auront la capacité à porter le cinéma et la télévision à l’international et faire rayonner cette activité sur la France.
Il ajoute quelques mots sur l’argent à risque qui n’a pas vocation à être remboursé. Qu’est-ce qu’il faut pour que les investisseurs prêtent de l’argent à risque ? Les banques raisonnent avant tout sur un bilan d’entreprise, sur la robustesse de l’entreprise, ce qui est culturellement assez nouveau.
Judicaël Perrin constate que le modèle en télévision évolue : on passe de séries nationales financées à 100% (diffuseur + CNC) à des séries à vocation internationale pas entièrement financées par les chaînes et destinées à plusieurs territoires. Les productions télévisuelles deviennent, en termes de narration, au moins au niveau d’un certain nombre de films, c’est aussi un moyen pour les producteurs de cinéma d’être plus visibles. Le schéma international est plus compréhensible pour eux qui ont l’habitude d’avoir une certaine liberté dans leurs projets. A l’avenir, on observera, selon lui, l’émergence de groupes favorisés qui feront du cinéma et de la télévision à vocation internationale, ce qui constitue un potentiel de richesse économique et culturelle.
Nicolas Parpex exprime le point de vue de Bpifrance, la banque publique qui a été créée il y a quelques années, sur ces questions économiques. Il explique que, dans le secteur, Bpifrance s’intéresse autant aux porteurs d’entreprises qu’aux créations, car l’enjeu est d’organiser la montée en gamme des entreprises. Bpifrance est l’établissement financier qui met en commun tous les moyens financiers publics, elle intervient dans le financement bancaire, les fonds propres et l’accompagnement à l’international, l’export. Bpifrance mène une action volontariste à destination des entreprises culturelles. En chiffres, cela correspond à 1,3 milliard d’euros investis dans les industries culturelles et créatives en 2015. La banque a une vraie action en direction de ces secteurs, la banque investit en fond propre pour le cinéma – chez Cap Cinéma, MK2 et Europacorp – et pour la télévision – en documentaire chez Gedeon Programme, Media participation leader franco-belge de la BD.
Montée en gamme : l’enjeu de l’internationalisation
Nicolas Parpex évoque les trois sujets clés déjà évoqués. Tout d’abord, le sujet de financement lés à la concurrence. Il constate lui aussi une concentration par le haut et un émiettement par le bas qui constituent un « oligopole à frange ». La consolidation semble difficile dans ce secteur, elle est pourtant un enjeu pour atteindre une taille critique. Ensuite, la montée en gamme, l’internationalisation. Un sujet sur lequel l’animation et le documentaire ont pris un peu d’avance mais qui concerne aujourd’hui aussi la fiction. Pour permettre cela, il faut une taille critique et des moyens.
Et enfin, le financement lié à la notion d’écosystème. Car investir l’argent, le plus risqué qui soit, s’envisage dans un écosystème de financement global assez complémentaire. L’avantage : une ressource long terme, de nouveaux talents. L’inconvénient : il faut rémunérer le risque du partenaire et partager les droits politiques de son entreprise.
Philippe Chazal s’interroge sur les dispositifs en place : encouragent-ils la montée en gamme tels que les comptes de soutien, pas de bonus pour l’export par exemple. Il souligne aussi que les entreprises ont besoin de cohérence. Quelques soient les acteurs, on est en France centré sur la notion de l’œuvre de stock ; or on constate que le secteur est constitué d’entreprises qui s’occupent aussi de flux, très importants au niveau international. Les autres pays ont compris qu’il faut traiter à égalité flux et stock, mais pas la France.
Nicolas Parpex explique que Bpifrance finance des entreprises et des entrepreneurs donc ne fait pas de distinction en fonction des programmes. Il insiste sur les spécificités d’une banque publique, notamment le rapport au temps, avec un horizon de liquidité qui peut être plus long de 2 ou 3 ans. Bpifrance est convaincu que le France a un avantage compétitif : rayonnement international et questions de soft power.
Il y a, d’autre part, chez Bpifrance un volontarisme, qui permet de surinvestir le secteur par rapport au marché, avec un angle long termiste car la banque a 2 priorités stratégiques : le développement international, d’une part, et l’accompagnement, d’autre part. Des outils sont mis à disposition des entreprises grâce à business France, la Coface, il y a, de plus, des prestations de conseil avec un panel d’experts qualifiés. Nicolas Parpex souligne que c’est un effort et un coût que seule une banque publique peut prendre en charge à ce jour.
La parole est ensuite donnée à Antoine Bodet, directeur associé d’Alliance Entreprendre, une des filiales d’investissement de Natixis, spécialisée sur les petites et moyennes entreprises (entre 1 et 150 millions d’euros de chiffre d’affaires). Alliance Entreprendre se concentre sur les PME et investit entre 1 et 15 millions d’euros par entreprise sur des projets d’entreprise, la création d‘une idée entrepreneuriale et la production de plusieurs œuvres.
A partir de la fin des années 90, rares sont les acteurs d’investissements en capital. Partcom par exemple, a pris le virage des technologies et non de la production médiatique au sens classique du terme. Il y a eu un phénomène de concentration sur les télécommunications et donc pas vraiment d’investisseur en fond propre pour la production.
Ce tissu était là grâce au modèle français, qui possède plein de vertus, notamment le préfinancement qui a permis à des acteurs de se développer.
Antoine Bodet observe 2 principaux phénomènes : un marché très focalisé sur lui-même, peu d’investissement car seulement 5 principaux acteurs et peu d’ouverture à l’international. Or, le reste du monde, qui n’avait pas ces moyens spécifiques là, a été contraint de se développer, d’investir massivement et de s’ouvrir à l’international pour amortir les couts. « C’est ce virage qu’il faut prendre aujourd’hui », estime Antoine Bodet.
Programmes TV : une nouvelle exigence de qualité à satisfaire
Les diffuseurs sont de plus en plus nombreux, ajoutons des groupes comme OCS, SFR qui développent de nouvelles chaînes, et les acteurs internationaux comme Netflix font évoluer ce modèle de préfinancement et le système des revenus. On peut penser qu’Amazon va peut-être encore faire évoluer le système de revenus. On est obligé de réfléchir autrement. Cette ouverture, cette multiplication des tuyaux a rarement été vécue. A la quantité, s’ajoute également une demande toujours plus exigeante en termes de qualité. Un saut qualitatif qui implique nécessairement un plus fort coût de développement et de préfinancement
Alliance Entreprendre accompagne des entrepreneurs qui démarrent, par exemple : Pernel Media, Making Prod ou la nouvelle trajectoire de Pascal Breton avec Federation Entertainment. Antoine Bodet cite aussi l’exemple de la Fabrique des Formats, qui témoigne qu’il faut aller plus loin dans cette vision de l’amont et soutenir le passage à l’image aujourd’hui déterminant. Il y a un gap avec l’international qui doit être comblé grâce à une nouvelle façon de raisonner le financement. Cela passe aussi par le fait d’accepter dès le départ qu’une partie de l’argent investi dans le développement des projets sera perdu, car les projets ne verront pas tous le jour. Trouver le bon équilibre est bien le nouvel enjeu.
Comment inciter le financement du développement et impulser plus de création made in France ?
Philippe Chazal complète en précisant que la France est en retard dans la filière des formats qui est synonyme de développement international. Les investissements en R&D sont de plus sous-évalués en France en comparaison avec d’autres pays mais aussi comparé à d’autres secteurs de l’industrie française.
Il faut aller plus loin que nos mécanismes habituels, cela implique que le secteur se comporte comme un secteur comme les autres, où il y a eu beaucoup d’initiatives du type pôles de compétitivité.
Judicaël Perrin souligne qu’un producteur ne vend pas des projets tous les mois alors qu’il y a des charges, cela induit donc une certaine gestion de trésorerie. Il ajoute que sur le marché français, il n’y a pas de place pour faire plus, car on voit bien que le cinéma français est autocentré. Quand il y a des succès en France, cela amène un peu plus d’argent qui sert à créer un peu d’inflation, à faire des films un peu plus chers. La sortie du cadre se fera par l’international. Dans cette optique le secteur de l’animation est exemplaire. A noter qu’il s’agit de cycles longs et chers où le préfinancement ne suffit pas, il faut aussi de l’argent risqué.
Philippe Chazal rappelle aux membres du Club le défi du divertissement : les primes sont essentiellement des formats adaptés. Le producteur, Sébastien Brunaud, souligne de plus la frilosité des diffuseurs. Peut-on imaginer un système pour que les chaînes prennent plus de risque ? Pourquoi pas un crédit d’impôt pour les diffuseurs qui investiraient dans la création. Nicolas Parpex rappelle que cela dépend du modèle de financement que l’on souhaite valoriser.
Philippe Chazal rappelle aussi le retard en matière de formation, les métiers liés aux formats ne figurent pas dans les catalogues de l’Afdsa. Il donne un coup de projecteur sur l’arrivée progressive d’une nouvelle génération d’acteurs qui viennent du numérique, possèdent généralement une première expérience en tant que partenaire sur le déploiement multi écran d’un programme, et souhaitent progresser dans le secteur audiovisuel. Ils seraient capables d’apporter de nouvelles idées parce qu’ils viennent d’un autre univers.
Parmi les pistes de financement, est évoqué le crowdfunding qui, même s’il reste marginal en volume investi, témoigne de la porosité entre les univers du digital et de la télévision. Ce qui est avant tout recherché c’est la communauté.
Il y a enfin, une réflexion à mener sur la notion de territoire. Une stratégie à mettre en place quand on voit que des acteurs comme Netflix visent le monde. On peut aisément imaginer que des concurrents de la plateforme vont émerger dans les années à venir. Dans cette perspective, Jérôme Bodin affirme que la porte de sortie par rapport à la situation actuelle est non capitalistique, elle passe par des alliances.
Prochaine session le 27 Février avec la mobilisation des dispositifs publics de financement dans les départements et les régions.