Compte rendu de la séance du lundi 21 septembre 2009 sur la création dans le domaine du jeu vidéo
En partenariat avec le Syndicat National des Jeux Vidéo (SNJV), le Club Galilée a poursuivi son inventaire permanent des créations dans le domaine de l’image en élargissant son champ de vision au domaine des jeux vidéo. Ainsi, Nicolas GAUME, PDG de Mimesis Republic, Olivier LEJADE, PDG de Mekensleep, Eric VIENNOT, directeur de création de Lexis Numérique et Julien Villedieu, Secrétaire général du SNJV ont partagé avec les membres du club leur enthousiasme et leur connaissance de ce monde « parallèle ».
Philippe Chazal a débuté la séance en remerciant Julien Villedieu pour son aide dans la préparation de cette séance. Le président du Club Galilée a ensuite rapidement décrit l’univers du jeu vidéo, industrie puissante avec de nombreux créateurs et des « champions français ». C’est donc cette industrie forte, à la création riche, que nos quatre invités ont présenté.
« Ce que personne ne vous a jamais dit au sujet des jeux vidéo »
Premier à intervenir, Olivier Lejade, PDG de Mekensleep a rapidement présenté son « petit studio parisien ». Mekensleep est un producteur de jeux vidéo qui a récemment produit le jeu « Soul Bubbles », jeu qui a reçu plusieurs récompenses en France et à travers le monde, et qui a notamment été édité au Japon, fait rarissime pour un jeu fabriqué en Occident.
Mais Olivier Lejade n’était pas venu pour présenter son entreprise ou son parcours, mais pour dire aux membres présents « ce que personne ne leur a jamais dit au sujet des jeux vidéo ». Ainsi au travers d’une présentation surprenante, Olivier Lejade a proposé une approche inédite du jeu vidéo.
Dès son introduction il a posé la question « qui ici ne joue pas ? » et à travers celle-ci, il a démontré qu’en réalité chaque être humain joue à un moment ou un autre, que ce soit au golf, au PMU, aux cartes… Le jeu est un élément essentiel de la vie et le jeu vidéo n’en est que son incarnation la plus récente.
Pour mieux comprendre ce qu’est un jeu, Olivier Lejade a présenté 3 clés de compréhension qu’il a puisées dans trois domaines qui peuvent paraître éloignés du jeu.
Ainsi, il a tout d’abord parlé de la Science. La science étudie le monde pour le reformuler en lois et en règles cohérentes. Il s’agit donc ici de retenir le modèle systémique utilisé. La philosophie, elle, fonctionne selon une méthode dialectique, on assiste à un échange structuré entre penseurs qui permet de naviguer dans les méandres de l’esprit humain. Enfin, l’art consiste à reproduire une idée, une invention ou un message encodé dans une forme qui sera ensuite décryptée par le spectateur. L’importance ici est la puissance plastique. Le jeu vidéo est la combinaison de ces trois éléments, des règles qui s’appuient sur le modèle systémique utilisé par la science, une gameplay, une relation entre le joueur et la machine selon la méthode dialectique de la philosophie et bien sûr un univers d’images et de sons qui se rapproche de la puissance plastique de l’art.
Le but du jeu vidéo est donc d’appliquer ces trois dimensions pour aboutir à un élément artistique. Car la deuxième idée d’Olivier Lejade est celle-ci, le jeu vidéo est l’avenir de l’art. Bien sûr, tous les jeux ne sont pas encore des œuvres d’art, mais on s’éloigne de plus en plus de l’image des jeux vidéo qui sont des jeux de guerres et de voitures. En moins de 50 ans d’existence, le jeu vidéo a évolué et de plus en plus d’artistes, de créateurs, d’auteurs, de scénaristes s’expriment à travers les jeux.
Suite à sa présentation, Olivier Lejade a répondu à plusieurs questions des membres du club. Ainsi, il a rappelé que ses deux dernières réalisations était le jeu Soul Bubbles et un jeu de poker en ligne en partenariat avec Skyrock. A la question des compétences nécessaires pour créer un jeu vidéo, le président de Mekensleep a détaillé trois métiers liés aux trois domaines qu’il a présentés. Les programmeurs s’occupent de préparer les règles, les graphistes définissent le système de représentation et les responsables du gameplay mettent en place la relation entre le joueur et le système.
« Les social playgrounds », la fin de la frontière entre jeu et réseau social ?
Nicolas Gaume, président deMimesis Republic, est venu présenter son nouveau conceptBlack Mamba Nation, prototype du « social playground ». Un Social playground est un croisement de réseaux sociaux de type Facebook, d’Univers Virtuels de type Habbo Hotel et de jeux online casual de type PlayFish/Zynga. Les Social Playgrounds sont des univers destinés au grand public, thématisés et ciblés (dans les tranches d’âges 8-39 ans). L’expérience est gratuite pour la majorité, une minorité acquérant des services à valeur ajoutée (« items ») via des micro-paiements (quelques dizaines de centimes d’euros à quelques euros). C’est le modèle« freemium ».
Black Mamba Nation est parti d’un constat. Les jeunes générations d’aujourd’hui ont deux caractéristiques principales, elles sont très connectées, elles utilisent des outils internet de manière permanente, chaque outil ayant sa place, et ce sont les générations de l’échantillonnage. En effet, la culture pop a envahi l’espace numérique et les jeunes consomment cette culture autour de différents univers (film, blog, livre, BD), chaque univers jouant un rôle essentiel dans la construction sociale de ces individus. Il s’agissait donc de créer un univers centré sur la rencontre sans se prendre au sérieux. Black Mamba Nation est un espace de liberté offrant de nouvelles façons de se divertir, de communiquer et de se rencontrer.
L’expérience fonctionne selon le système de l’écosystème et le processus du marketing viral.
Le premier élément du concept est l’application Bubbler. Grâce à cette application, les jeunes peuvent faire du microblogging vidéo. A partir d’une sélection d’avatars (des petits bonhommes drôles), un jeune peut commenter sur un réseau social (facebook, iphone…) une vidéo disponible sur youtube ou dailymotion. La vidéo sera ainsi mis en ligne via bubbler sur le profil du jeune avec l’avatar qui présentera la vidéo et fera des commentaires. Une fois que le jeune découvre le concept, il peut décider de créer son propre avatar.
Celui-ci pourra ensuite prendre vie sur le site de destination, à savoir la nation. Là, l’avatar (ou les avatars, Mimesis Republic a volontairement donné la possibilité aux internautes de créer plusieurs avatars) pourra interagir avec les autres avatars présents dans la nation. Dans la nation, la liberté est presque totale. Certains espaces ont été constitués pour permettre aux avatars de se rencontrer et d’interagir via différents jeux simples et ludiques. Le but est de permettre aux jeunes internautes de se rencontrer et de se découvrir. Ils pourront également créer leurs propres jeux et leurs propres espaces de rencontres. De même, ils auront la possibilité d’acheter des items leur permettant de rendre leur avatar plus drôle ou plus cool. Ces items seront vendus à des prix dérisoires (quelques centimes d’euros), et le studio espère se rémunérer sur les volumes.
Enfin, le troisième niveau d’interaction est la Black Mamba TV. Dans cet univers plus restreint et accessible aux utilisateurs les plus actifs, ceux-ci pourront créer leurs propres studios de télévision virtuels. Sous la houlette de Black Mamba, personnage virtuel créé spécialement pour le jeu, les internautes pourront créer des contenus qui seront ensuite repris sur la webTV.
Ainsi, Nicolas Gaume a présenté ce nouveau concept de « social playground » qui permet d’associer, jeu vidéo, internet, réseau social, UGCs, et télévision. Le jeu sera lancé l’année prochaine.
Le SNJV, et l’industrie des jeux vidéo
Après ces deux premières séances très axées sur les contenus et les images, Julien Villedieu, secrétaire général duSNJVa présenté l’industrie des jeux vidéo ainsi que les actions de son syndicat.
A l’origine, le jeu vidéo était réservé à un public averti, adolescent, masculin, né avec des manettes entre les mains et des écrans devant les yeux. Les premiers jeux rimaient avec pauvreté des contenus, histoires sommaires, graphismes grossiers, courses automobile, sport et plombiers. Vu des parents ce loisir était même très suspect, abrutissant, coupant de la vie sociale, violent et développant des addictions graves…
Aujourd’hui, les jeux ont changé, ils se sont rapprochés d’internet, ouvrant la porte aux jeux massivement multi-joueurs et aux univers persistants. Les consoles sont devenues plus performantes, communicantes et plus simples. De nouvelles générations de jeux ont fait ainsi leur apparition : plus simples d’approche, moins exclusif dans leur interactivité donc plus familiaux et plus ouvert à un large public. La console Wii de Nintendo est le reflet de cette évolution. Le jeu vidéo a donc à cette époque réussi à séduire de nouveaux publics, plus âgés (30 ans en moyenne) plus féminin (40% des joueurs sont des joueuses), voire même à intéresser le 3e âge avec des programmes spécialisés.
Aujourd’hui les technologies 3D, temps réel, de la réalité augmentée ou encore la généralisation des accéléromètres rendent les jeux vidéo encore plus immersifs et interactifs. Le joueur devient acteur. Les nouvelles performances de mobiles, l’apparition de jeux géolocalisés ou encore la participation massive aux réseaux sociaux ont rendu le jeu vidéo encore plus attractif et surtout « pervasif ». On joue partout (bureau maison, métro, salle d’attente), tout le temps, offline, online, dans les transports en commun, au bureau et avec une multiplication des pratiques de jeu : mobile, pc, portails communautaires, les joueurs deviennent même créateurs de contenus.
Si le nombre de joueurs ne cesse de croître, les marchés ne cessent de se fragmenter, créant ainsi de minuscules niches au sein desquelles les différents acteurs du domaine cherchent à se positionner. L’arrivée en force des contenus dématérialisés qu’ils soient sur consoles, PC ou encore en streaming avec les nouvelles générations de console online témoigne aussi d’une évolution majeure de notre secteur impactant jusqu’à la façon dont on crée les contenus. Moins longs, moins chers et rendus disponibles directement auprès du public. La mutation des acteurs est en marche.
Le jeu vidéo est mondial par nature, il connaît actuellement un développement comme nulle autre industrie culturelle : 10 000 références de jeux vidéo / an dont 1 000 nouveautés. Autre exemple : 30 Millions d’Iphone dans le monde, 1,8 milliards de téléchargements et 75 000 jeux et applications. En comparaison 110 Millions de Nintendo DS, 54 Millions de WII et 32 millions d’Xbox. Le chiffre d’affaire de l’industrie a atteint 3,4 milliards d’euros en 2008 (+18% par an) en France et 34 milliards d’euros au niveau mondial. A titre de comparaison, sur le marché français, la musique génère 600 millions d’euros et le cinéma en salle 1,2 milliards. Le marché européen de la vente de logiciels de jeux vidéo (hors hardware et consoles) atteint en 2008, sur les 9 principaux pays de consommation des jeux vidéo un chiffre d’affaire cumulé de 7,3 Milliards d’euros. La France se classe d’ailleurs deuxième sur ce marché avec un chiffre d’affaire de 1,6 Milliards d’euros.
Julien Villedieu a ensuite présenté le secteur français de la production de jeux vidéo. Celui-ci se caractérise par un tissu dense d’environ 130 PME dont le métier est de concevoir et de produire des programmes vidéoludiques de grande valeur, reconnus à travers le monde. Il emploie directement en production plus de 2 000 personnes, auxquels s’ajoutent quelques 3 000 emplois dans les secteurs de l’édition et la distribution de jeux vidéo.
On crée en France des jeux vidéo depuis le début des années 80. En comparaison, la production de jeux vidéo n’a commencé en Corée qu’au milieu des années 90. Cet écosystème génère actuellement une croissance à deux chiffres d’une année sur l’autre et constitue l’un des moteurs de la croissance d’une économie numérique française innovante et créative.
On compte parmi les champions français quelques leaders mondiaux de l’industrie, au premier chef desquels Activision/Blizzard filiale de Vivendi, Ubisoft Entertainment, Infogrames/Atari ou Ankama (Dofus). Parmis les créateurs français reconnus au plan international figurent Michel Ancel (Rayman), David Cage (Fahrenheit), Eric Viennot (In Memoriam) ou Frédéric Raynal (Alone in the Dark).
L’objectif des créateurs est donc de produire des contenus adaptés qui pourront satisfaire les joueurs. Et dans le contexte actuel où le marché est trusté par les blockbusters internationaux, se dégage de plus en plus une offre « alternative » où la créativité et le gameplay deviennent les éléments centraux. La France dans ce contexte a de belles cartes à jouer. Les créateurs français réputés dans le monde réalisent au Canada les jeux vidéo qui font le succès des éditeurs actuellement. Mais tout l’enjeu est de créer les conditions favorables au développement de cette créativité en France et non dans les pays étrangers. C’est la raison d’être du SNJV. Ces enjeux sont encore plus importants en ces temps de crise.
Créé en 2008, dans la continuité de l’APOM, le SNJV est l’organisation professionnelle du secteur des jeux vidéo qui regroupe une centaine de créateurs indépendants de jeux vidéo : studios de développement, middleware ou éditeurs, de tailles différentes et s’adressant à des marchés très divers. Ses actions se structurent autour de 4 sujets : financement, juridique, formation et communication. Sa vocation est aussi de faire mieux connaître son industrie, ses créateurs et ses métiers.
In Memorium, ou le jeu total
Dernier à intervenir,Eric Viennotest fondateur et directeur artistique du studioLexis Numérique. Après avoir présenté son entreprise, Lexis Numérique, il a tout simplement présenté l’avenir de l’audiovisuel, ce à quoi le cross media pourra ressembler dans quelques années.
Lexis Numérique a été crée en 1990 et depuis cette date, le studio a vendu plus de 9 million de jeux dans le monde. L’entreprise compte aujourd’hui 60 collaborateurs pour un chiffre d’affaire de 8 M€. La majorité du chiffre d’affaire provient des jeux vidéo, mais depuis ses débuts le studio tire des revenus complémentaires d’une activité de communication interactive qui l’a vu créer plusieurs « serious games ». Au cours de son histoire Lexis Numérique a créé plusieurs jeux innovants et à succès comme l’Oncle Ernest ou the eXperiment. Le studio a également produit des blockbusters, des jeux plus faciles à faire car s’appuyant sur des personnalités connues à l’image de la série Alexandra Lederman. Eric Viennot a montré en exclusivité les premières images du jeu Brooklyn Stories actuellement en phase de pré-production.
Après cette brève introduction, Eric Viennot a présenté aux membres du club son jeu In Memorium. Ce jeu est précurseur, le premier « jeu total ». C’est un jeu qui est à la convergence des médias. Dans ce jeu, chaque joueur joue son propre rôle. Sur les traces d’un tueur en série, le joueur doit se faire aider par la communauté autours de lui, il va chercher des indices sur des dizaines de sites internet créés spécialement par Lexis Numérique. De même, s’il a accepté de donner son adresse mail et son numéro de portable, il pourra recevoir des mails et des SMS. Enfin, lors des premiers mois du lancement du jeu, certains indices pourront être glanés auprès d’un acteur qui 24h/24 pouvait répondre à son téléphone en se faisant passer pour un détective privée. Le jeu mélangé à la fois les scénarios classiques des jeux vidéo policiers, mais également Internet et le mobile. In Memorium est donc un jeu presque total.
Grâce à son expérience sur In Memorium, Eric Viennot a pu étudier de plus près cette idée de cross media. Pour lui l’avenir des médias se situe bien sûr dans des univers, mais dans des univers qui permettent aux différents médias d’interagir entre eux et d’interagir avec les utilisateurs. Les univers médias existent de plus en plus, un film comme Matrix a été décliné en livres ou en jeux vidéo, de nombreux réseaux sociaux se sont créés sur Internet à partir du film. Mais les différents éléments de l’univers ne communiquent pas entre eux. Il s’agit donc d’aller vers quelque chose de nouveau, à inventer, du cross media au transmédia.
Conclusion
Ces quatre interventions ont permis aux membres présents de découvrir une industrie, trop souvent méconnue du secteur de l’audiovisuel. Les jeux vidéo, contrairement à ce que beaucoup pense encore aujourd’hui, ne sont pas un univers pour jeunes adolescents boutonneux qui aiment jouer à des jeux de guerres ou de voitures. Non, les jeux vidéo sont des œuvres de création au même titre que les œuvres audiovisuelles. Ces jeux font appel à de multiples créateurs qui créent des images, des scénaristes qui inventent des histoires, et ils sont ensuite distribués sur des plateformes similaires à la vidéo (DVD, Internet…).
Il est donc temps pour le secteur de l’audiovisuel, à l’heure de la convergence, de se rapprocher de l’industrie des jeux vidéo et de travailler en collaboration avec lui. Car l’avenir des médias peut être ce concept de cross média voire de transmédia. Bientôt, le client final ne sera plus un simple téléspectateur qui suit une histoire déjà écrite, ni un joueur qui tente d’arriver à la fin d’un jeu dont la trame a déjà été définie. L’utilisateur du futur dialoguera avec des images, des idées et des histoires crées par ceux qui auront compris l’évolution des médias.