Compte rendu de la séance du lundi 26 avril 2010 organisée en partenariat avec le Sunny Lab sur les web fictions.
Le Club Galilée s’est réuni le lundi 26 avril 2010 pour lancer un cycle de trois séances en partenariat avec le Sunny Lab sur la « web création ». Cette première session était consacrée à la « web-fiction ».
Le Sunny Lab est une émanation de Sunny Side of the doc. Le Sunny Lab souhaite devenir un centre de ressources, d’informations et de formations qui se concentre sur tous les nouveaux médias, les nouvelles écritures et les nouvelles technologies comme la 3D. Le Sunny Lab étudiera les innovations qui changent les Business Models et les manières de faire de la télévision. La ville de La Rochelle et les collectivités locales environnantes ont soutenu cette initiative. La ville de La Rochelle a mis à disposition une maison du savoir qui sera inaugurée au mois de Juin et qui débutera ses activités publiques en Juin. Plusieurs formations seront proposées, et la première réunira les responsables du programme MEDIA de l’Union Européenne, de manière à ce qu’ils soient plus aptes à évaluer les subventions aux projets transmédia, cross-média et multimédia.
Cette première séance a ainsi réuni, autour de Philippe Chazal, président du Club Galilée et d’Yves Jeanneau, Commissaire général du Sunny Side of the doc, plusieurs professionnels spécialisés dans la fiction web et transmédia. Sont ainsi intervenus, Christophe Cluzel du Transmédia Lab d’Orange, Hadrien Cousin, de CANAL +, Bénédicte Lesage de Mascaret Films, et Brice Homs, Scénariste.
Avant de donner la parole aux différents intervenants, Philippe Chazal a présenté le partenariat avec le Sunny Lab et l’activité du Club Galilée lors de ces trois prochains mois. Il a rappelé l’importance de regarder ce nouveau territoire qu’est le web. Cette observation se fera en trois temps, la première étape, la web-fiction, sert de transition avec la mission sur la fiction audiovisuelle. La deuxième séance se tiendra fin mai, sur la web création et le service public. Il a paru important au club Galilée de regarder la création qui se fait sur Internet et de mieux définir le rôle et les spécificités du service public sur Internet. Enfin, la dernière séance se tiendra fin Juin, dans le cadre du Sunny Side of the doc sur le thème des web-documentaires.
L’objectif de cette session est d’abord de réunir des acteurs qui ont commencé à travailler dans ce domaine de création et de leur proposer de faire un retour d’expériences. Au-delà, il s’agit, en particulier, d’analyser les conditions dans lesquelles peut se développer la mixité professionnelle entre créateur de l’Internet et de l’audiovisuel. Mixité professionnelle qu’il apparait nécessaire de mettre en place alors que ces créateurs appartiennent à des générations et des univers différents et qu’ils ont suivi des formations et des parcours professionnels distincts.
Christophe Cluzel de l’Orange Transmédia Lab a souhaité débuter son intervention par une présentation rapide de la production et de la création de web-fictions.
Aujourd’hui, tout le monde parle des web fictions. Or, depuis 1995, il existe aux Etats-Unis des web-fictions. La première à avoir vu le jour est the Spot, à une époque où les blogs n’existaient pas encore. Ainsi, dès le début d’Internet et avant même sa démocratisation, des créateurs utilisaient la toile pour raconter des histoires.
Aujourd’hui, la question de comment atteindre la cible jeunesse se pose. Comme le remarque le Ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand, la télévision n’est qu’un média parmi d’autres pour les plus jeunes. Il faut donc développer de nouvelles offres sur les nouveaux médias. La web-fiction est encore au stade balbutiant, mais il est impératif d’avoir une offre pour l’internaute. En effet, il existe aujourd’hui une véritable audience sur le web, mais il faut comprendre comment valoriser cette audience. Comment faire pour amener les internautes vers un programme et y faire une audience ?
Les chaînes sont de plus en plus conscientes que pour récupérer cette audience des 15-24 ans qu’elles ont perdue, il faut se lancer sur Internet. C’est ainsi qu’elles font appel à de jeunes créateurs, à l’image de CANAL + avec trois web-fictions comme Kaira Shopping, Mylène et son Garçon ou encore Kali. Lorsque le succès est au rendez vous, il arrive que des marques suivent à l’instar de Pepsi qui a soutenu Kaira Shopping.
Au-delà de l’engouement des chaînes, ce sont surtout des jeunes créateurs qui font le succès d’Internet. Ces jeunes créateurs sont souvent des groupes d’amis qui se lancent avec des moyens de production minimes sur un concept plus jeune, plus direct et plus osé que ceux que l’on retrouve à la télévision.
Ces web-séries à succès se fondent en général sur une communauté à l’image de Hello Geekette, qui décrit l’histoire d’une jeune fille Geek, fan de jeux de rôles, qui raconte son histoire à propos des différences entre geeks et non geeks. Cette série a fait plus d’1 Millions de vues sur Dailymotion, et a fédéré une véritable communauté autour d’elle avec près de 10 000 fans sur Facebook, du Fan Art, 3949 Messages dans 213 fils de discussion par 173 Membres sur son forum. D’autres web-séries ont également connu un succès important à l’image de Herocorp qui s’est d’abord lancé sur le net avant d’être repris par la télévision.
Pourtant, malgré leur succès, ces séries ne rapportent pas d’argent, leurs créateurs vont vers les chaînes. Aujourd’hui, il n’existe pas de Business Model sur Internet, et la majorité des créateurs de web-séries n’ont qu’une seule envie, être repris par la télévision.
Ces séries sont pourtant diffusées sur des plateformes communautaires comme Dailymotion ou Youtube. Or, ces plateformes rémunèrent les nouveaux créateurs seulement, et pas tout le temps, par des recettes publicitaires. Les recettes publicitaires sur Internet étant encore très faibles il est difficile pour ces créateurs d’avoir de véritables ressources. Il faut ajouter que le nombre de web-fictions est important. Face à cela, les sites vont mettre certaines fiction en avant, contre un paiement de la part des créateurs, et les rémunérer ensuite via du partage de revenus, mais l’investissement initial est parfois trop important pour de jeunes créateurs.
Il est donc primordial aujourd’hui de ne pas se limiter au web, si on se limite au web, on se limite à une audience, il faut donc faire émerger ces talents sur Internet et les aider ensuite à aller sur d’autres plateformes en leur faisant comprendre que la Télévision n’est pas forcement le graal auxquels ils croient.
Il faut aussi sortir de ce « ghetto du web » qui empêche des créateurs de talent à vivre de leurs créations et les poussent à rechercher coûte que coûte le soutien de la télévision. L’exemple de brèves de trottoirs, un site internet documentaire qui reprend des reportages de deux jeunes journalistes sur des marginaux de Paris est symptomatique. Incapable de vendre le programme à la télévision, ils ont du arrêter de produire de nouveaux contenus car ils n’ont pas pu monétiser leur succès sur le web.
En conclusion, Christophe Cluzel a insisté sur le fait que pour pouvoir pérenniser aujourd’hui une expérience de web-fiction, il est nécessaire d’avoir le soutien d‘un diffuseur. Le véritable problème est au niveau des créateurs qui veulent tous aller à la télévision, car à un moment ils manquent d’argent sur Internet. Un succès sur Internet n’est qu’une carte de visite, un moyen d’accéder à ces écrans de télévision. Pour que le marché des web-fictions puisse réellement se développer, il faudrait créer une véritable plateforme qui soit plus qu’une carte de visite, mais aussi un moyen de montrer que la création est sur le web et qu’elle peut exister uniquement sur le web sans avoir besoin d’être également présente à la télévision pour rémunérer ses auteurs.
Bénédicte Lesage a commencé par réagir aux propos précédents. Ainsi, aujourd’hui, les producteurs de web-fiction sont donc trop souvent des gens qui n’ont pas les moyens d’aller à la télévision en l’état, mais qui vont bricoler sur le net, afin de faire du pré-contenu avec l’espoir d’accéder à la télévision. Il n’y aurait donc dans cette démarche aucune volonté de créer des produits spécifiques web, mais plutôt une envie de faire de la télévision après Internet.
Cette vision dominante est réductrice, car il faut, au contraire, réfléchir aux contenus spécifiques conçus pour le web. Qu’est ce que la web-fiction ? Qu’elles sont ses formes ? Quelle est la spécificité d’une œuvre de fiction créée pour Internet ? Il faut fabriquer un contenu qui soit pour le Net, pas pour la télévision et diffusé sur le net faute de mieux. On peut offrir aux publics d’Internet de vrais œuvres natives faites pour Internet, et pas « à défaut de ». Ce ne doit pas être de la sous-série TV pour devenir de la série.
Au-delà, c’est la question des fictions transmédias (conçues dès le départ pour la télévision, Internet et le Mobile) qu’il faut se poser. Comment proposer de nouvelles écritures ? Des approches différentes via le média de masse qu’est la télévision, mais aussi aller chercher d’autres types d’audiences sur Internet et le mobile ? Comment créer de vrais œuvres transmédia dès le départ ?
C’est un chantier très passionnant, mais il est regrettable que les créateurs, notamment de télévision, aient du mal à s’inscrire dans ce changement. Le rôle des producteurs qui est aussi celui de passeur, c’est de faire travailler les gens ensemble.
La question du financement de toutes ces œuvres est elle aussi primordiale. Il faut donc trouver un financement adapté aux différentes possibilités. Deux réflexions doivent être menées d’un côté sur la web fiction et de l’autre sur le financement transmédia.
La terminologie doit aussi être clarifiée, il va être très important de donner une vraie définition aux œuvres, cela permettra de leur donner une véritable existence d’œuvre. Celles-ci doivent être de vraies œuvres globales, à 360’. Ainsi, les deux créateurs du projet transmédia Antigone 34 produit par Mascaret Films, Brice Homs et Alexis Nolent avaient écrits des romans, des BD, des fictions aux Etats-Unis, ils ont travaillé sur des jeux vidéo. Ils ont ainsi une expérience globale et une complémentarité qui leur a permis de réfléchir à une écriture différente, adaptée à ces nouveaux supports.
Selon Pierre Merle, délégué de l’unité fiction d’ARTE France, en ce qui concerne les projets « non standards », il n’est pas anormal que le web serve de carte de visite pour de jeunes créateurs. Après tout, c’est bien le rôle des courts-métrages dans le domaine du cinéma, pourquoi le web ne jouerait-il pas ce rôle pour la télévision ?
Pierre Merle pilote pour ARTE le projet Addict, produit également par Mascaret Films. Ce projet est parti d’une envie de faire un projet de fiction non standard, il s’agissait d’utiliser les spécificités du web pour créer un univers qui ne peut pas être créé à la télévision, réunir des histoires qui ne pourraient pas toujours être réunies. Le concept a ainsi consisté à rassembler, à partir d’un quartier populaire de Bordeaux, des histoires que racontent des personnes réelles, des éléments de documentaire sur ce quartier et d’inventer par ailleurs de la fiction qui viendrait se coller à ces histoires. Tout cela aurait bien sûr été impossible à la télévision, mais sur Internet c’est possible, et c’est ce qui permet l’émergence de nouveaux types de programmes.
En ce qui concerne l’économie de ces nouvelles formes de narration, celle-ci va se créer avec le temps. Une répartition entre le politique et l’économique est à faire. L’ensemble des participants, créateurs, chaînes, producteurs, politiques… ont deux ou trois ans devant eux pour créer de nouvelles choses et les tester. Il faudra toutefois, pour réussir, véritablement créer de nouvelles manières de raconter des histoires et pas reprendre les schémas existants.
Pour Yves Jeanneau, il est important de mélanger les différents genres, de lancer des expérimentations sur Internet et le mobile. Mais dans le transgenre, face aux chaînes, on se heurte à des cases, à des fonctions. Or, cela n’est pas possible sur ces nouveaux supports. Il est donc nécessaire de changer d’organisation au sein des chaînes. Bénédicte Lesage considère qu’il ne faut pas tout attendre des diffuseurs. Ces nouvelles manières d’écrire et de raconter des histoires audiovisuelles vont poser des questions sur les fenêtres d’exclusivités, et les séquences d’exclusivité des uns et des autres. Il faut réfléchir à l’organisation du système de visibilité d’œuvres diffusées sur des supports très différents.
Les diffuseurs et les financements publics ne peuvent pas être les uniques sources de financement de ces nouveaux contenus. L’argent doit aussi venir d’ailleurs, notamment de la part des acteurs de l’Internet, du mobile mais aussi des marques. Il faudra effectivement travailler avec les marques, les contenus peuvent apporter une véritable visibilité à certaines marques, avec un rapport plus proche du public via Internet. Mais des questions devront être posées : comment travailler avec ces annonceurs sans dénaturer les œuvres ? Comment se monétise l’œuvre pour les annonceurs ? Qui des nouveaux médias commenceront à mettre sa petite obole au pot ? Il est important de rappeler que ces flux d’images sont différents des images de télévision que nous connaissons actuellement, et qu’il n’y a pas de raison que les diffuseurs financent seuls ces œuvres dont bénéficieront beaucoup plus d’acteurs que par le passé.
Christophe Cluzel constate que le transmédia lab a vu la création de nouvelles agences qui sont à la fois des agences de publicité et des sociétés de production d’œuvres. Ces sociétés vont à la rencontre des marques pour tenter d’associer l’ADN d’une œuvre à celui d’une marque. Il faut que des œuvres transmédia se créent et pour cela, aujourd’hui, Orange et SFR réfléchissent à des contenus sur mobile, ils doivent maintenant investir un peu plus.
Daniel Bô avait déjà insisté lors d’une précédente intervention au club Galilée sur l’idée que le schéma de financement par les chaînes de télévision ne peut être transposé à l’identique à celui d’un financement par les marques. Il ne s’agit pas de créer un contenu et d’aller ensuite présenter ce contenu à plusieurs marques en espérant qu’une d’elles le finance. Il faut dès l’amont réfléchir à comment un contenu peut être associé à une marque, et surtout ne pas oublier que les marques ne deviendront jamais les principaux financiers de l’audiovisuel.
La newsletter Madison Vine, du Magazine Advertising Age regorge d’exemples de web séries associées à des marques.
En France, il y a assez peu d’exemples de fictions associées à des marques, alors qu’il existe plusieurs exemples aux Etats Unis. Aujourd’hui, le problème pour les marques est d’arriver à animer des communautés sur Internet, les web-fictions peuvent le faire. Sur Internet pour qu’une marque soit séduite par un projet, il faut donc offrir un contexte fort aux marques et voir comment les intégrer dans ce contexte.
Michel Thiers, fondateur de Anyfilm.tv, plateforme qui diffuse uniquement des web séries a souhaité revenir sur l’idée de « Ghetto du web » Selon lui la stratégie de nombreux auteurs est aujourd’hui de se dire « si je dépasse le million de vues sur Dailymotion, je vais ensuite voir un diffuseur en lui demandant de me diffuser ». Certaines créations sont reprises sur la télévision mais la rémunération n’est parfois pas au rendez-vous en particulier quand il s’agit des chaînes du câble et du satellite. La télévision ne devrait pas être considérée comme une fin.
Il y a également un gros travail à effectuer sur la communication et le contexte des web-fictions, du transmédia… Il faut mieux former. Ainsi, lors d’un récent tournage d’une web-série seul 10% des acteurs présents savaient ce qu’était une web-série. Il y a aussi une réticence des enseignants à présenter Internet comme un débouché pour des artistes. Il y existe une hiérarchie de la création et le web est tout en bas de celle-ci.
Au autre souci concernant les web-séries est le référencement qui est aujourd’hui très difficile, car les bases ne sont pas posées. Des points de rendez-vous doivent être créés.
L’ambition d’Anyfilm.tv était de créer un point de rendez-vous avec une éditorialisation des contenus. Aux USA, la création d’un point de rendez-vous s’est faire via la création du Streaming Festival, le festival de la web-série. Grâce à un jury de qualité et de gros sponsors, ce festival a été un véritable succès.
La principale leçon à tirer de l’expérience anyfilm.tv est que seuls de gros acteurs pourront faire émerger ce secteur. Pour que ces nouvelles séries entièrement sur le web puissent se développer et se pérenniser, il faut qu’on en parle. En 2009, tous les grands médias y sont allés de leur communication sur les web séries. Cela doit continuer.
En ce qui concerne le modèle économique, des explorations sont nécessaires. Le financement publicitaire est très difficile, car on ne gagne rien à moins de 500 000 visiteurs uniques par mois. La vente de services aux créateurs est impossible car les créateurs n’ont pas d’argent. Anyfilm.tv n’as pas marché. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de modèle économique, il arrivera, mais il faudra avoir le budget pour tenir jusque là.
Bénédicte Lesage, avant de présenter son projet Antigone 34, a souhaité rappelé qu’il existe une véritable distorsion entre des producteurs de télévision auxquels les pouvoirs publics ont demandé, à juste titre, de respecter le droit social, et la création d’œuvres non réglementées, et autofinancées sur Internet.
Mascaret Films est une société de production jusqu’ici spécialisée dans les fictions unitaires. La société a notamment produit récemment la Journée de la jupe. Suite aux premiers appels à projets nouveaux médias lancés par le CNC, Mascaret Films a commencé à réfléchir à la possibilité de se lancer dans ce nouveau secteur. Pourtant avant d’en arriver là il fallait se poser une question essentielle, qu’est ce que cela signifie en termes d’écriture et en termes de financement ?
Pour financer un projet transmédia, il faut un diffuseur, car c’est le seul qui ait les moyens d’investir dans une série. Ceci est rapidement apparu comme une évidence. Mais quand on est en face d’un diffuseur, on n’est pas aussi libre que lorsqu’on travaille seul. Ainsi, sur Antigone 34, d’un projet médical feuilletonnant, il a fallu accepter, pour trouver un diffuseur, de basculer vers un projet de série policière bouclée. Cela montre qu’il est primordial de convaincre le financeur principal, qui est, et reste le diffuseur. Dans le cas de ce projet, pour convaincre le diffuseur l’ensemble du transmédia a du être revu.
Le financement du développement qui est essentiel dans un projet comme celui-ci s’est fait grâce au CNC et à son aide au développement nouveaux médias, d’autres financements sont venus de la part du transmédia lab, un peu de la part d’une première chaine, mais des fonds propres ont aussi du être investis. Grâce à tout cela, Mascaret Films a pu investir 200 000 € dans, entre autres, l’écriture de 4 scénarios de 52’ avant d’arriver devant France Télévision qui a accepté de financer un pilote. Sans l’argent public, le projet aurait été abandonné depuis longtemps. Il faut aussi noter que les auteurs ont été payés, pour effectuer un vrai travail d’écriture.
Brice Homs, scénariste et consultant, qui a co-écrit Antigone 34 avec Alexis Nolent, est revenu sur l’aspect artistique du projet. Il y a une tendance naturelle des différents médias à se désirer les uns, les autres, et à se compléter. Les différents acteurs du secteur cherchent à aller chercher de l’audience là où elle est, les marques cherchent du story telling, les éditeurs de jeux vidéos cherchent un espace de fiction pour assoir leurs personnages. La fiction et l’écriture permettent ainsi de conforter le public dans sa fidélité aux jeux et aux marques. Parallèlement, les romans cherchent à être repris au cinéma, films cherchent des spinoffs en séries… On cherche le public, l’audience… On peut toucher les gens par différents supports et différents moyens.
Brice Homs a été très étonné que ce soit un producteur indépendant et pas un studio qui l’ait sollicité pour un tel projet alors qu’aux Etats-Unis, ce sont les studios qui sont à la pointe du développement transmédia. En tant que scénariste, il a été intéressé par la possibilité de raconter des histoires sur des supports différents, de raconter cela de façon globale, et d’aborder une histoire par des points de vue différents. Il fallait créer une série et une web-série qui racontaient la même histoire mais avec des points de vue différents. Le spectateur découvre ainsi des choses différentes. A la télévision, le téléspectateur est prisonnier du temps, sur le web, il en devient le maitre, il regarde ce qu’il veut. La démarche est plus active sur le web.
Une réflexion doit être menée sur la façon dont on peut raconter des histoires dans une proximité plus importante avec le spectateur qu’à la télévision, que peut-on apporter de plus et de différent ? Un exemple concret est que dans la partie fiction web d’Antigone 34, on retrouve les mensonges de tous les personnages suspects. Sur le web la production a mis en ligne des images qui démontraient que certains personnages avaient menti par rapport à ce qu’ils avaient dit à la télévision. Enfin, un dernier aspect important de la création de la web-série était d’aller au-delà de la complémentarité entre le web et la télévision, et de rendre les deux dissociables. En effet, il fallait qu’un internaute n’ayant jamais suivi la série à la télévision et qu’un téléspectateur ne souhaitant pas aller sur Internet puissent tous les deux vivre une expérience.
Une autre question que se posent les créateurs transmédia est comment utiliser chaque support ? Sur le mobile seront par exemple proposées des images qui sont filmées par mobile. Cela va permettre de jouer sur le multi-angle, les points de vue multiples. Internet permet aussi de donner plus de place aux personnages secondaires.
Aux USA, on fait de plus en plus de spinoffs web, à l’image de Seattle Grace : on call, spinoffs web de Grey’s Anatomy qui narre l’histoire qui se découle dans le bar en face de l’hôpital où se rencontre certains personnages secondaires quand ils ne travaillent pas.
Quand on est sur le web il y a une proximité, qui se prête à un type d’informations différent. On peut voir la série seule, ou aller en chercher plus pour aller plus loin dans l’univers. Ce type de narration secondaire présent sur le net se développe beaucoup, le but étant de chercher l’audience là où elle est. La circulation des images et des contenus est une sorte de tectonique qui fait qu’on se regroupe de plus en plus autours de fictions globales. Sur le net il y a une liberté de ton, pas de contraintes de formats et de politique éditoriale qui permet aussi d’aller plus loin dans l’exploration narrative.
Il a été très intéressant de réfléchir à ce multi-support. Et c’est l’ensemble de l’architecture de la partie transmédia et de la partie téléphonique qu’il a fallu changer lorsqu’on est passé d’une série feuilletonnante à une série bouclée
Bénédicte Lesage est ensuite revenue sur l’importance de l’Ancrage régional d’une série transmédia. Antigone 34, est la combinaison du quartier de Montpellier où se trouve l’hôpital au centre de la série et du numéro de département de l’Hérault. Une série transmédia va d’abord se fabriquer dans une région. La production va pouvoir faire vivre la série au moment même où celle-ci est fabriquée. La partie transmédia encrée dans une région permet de créer dès le départ une communauté autour de la fabrication de la série.
Pour Brice Homs, Montpelier donne accès pour une série à des paysages et des univers différents. Ainsi, chaque épisode explore un endroit, un univers différent. L’architecture de la série et de sa partie transmédia a été construite autour de chaque milieu spécifique.
Deux axes sont ainsi mis en avant sur le net, un premier axe en amont, qui permet de distiller des évènements sur des personnages, des lieux qui seront diffusés dans l’épisode de la semaine prochaine.
Via certains outils sur le web qui permettent de chercher en temps réel sur flickr toutes les photos qui ont été faites à un moment donné, à un endroit donné, on va permettre à l’internaute de participer à la recherche d’informations. D’autres logiciels se développent qui permettent de faire le même type de recherche sur des vidéos en temps réel et à l’endroit exact où les vidéos ont été tournées. Il y a donc des nouveaux outils pour raconter une histoire, des personnages, etc…
Les scénaristes d’Antigone 34 ont essayé de jouer en aval entre deux épisodes, en ménageant aux problématiques de l’enquête de police. Cela va ainsi apporter une expérience supplémentaire, non pas sur l’enquête mais sur l’objet de l’enquête. Une porte d’entrée sur une réalité qu’on va découvrir. C’est l’occasion d’explorer via le web un microsome, en dehors d’un temps qui est géré par le suspens de l’enquête policière.
Bénédicte Lesage a dit quelques mots sur une pure web-fiction, Addict. A partir d’un quartier pauvre de Bordeaux s’est posée la question de comment passer de la réalité des gens à une fiction, mais aussi de comment créer une fiction où chaque internaute peut créer sa propre histoire. Addict mélange ainsi du documentaire, de la fiction, de la réalité et de la création, on sort du modèle de la série d’un épisode après l’autre pour aller vers quelque chose de nouveau. Ces contenus restent pourtant entièrement créés dès le départ, il n’y a aucune participation des internautes.
Philippe Chazal a complété ces analyses en rappelant que ces expérimentations sont complexes, ce sont des expérimentations collectives, il ne s’agit pas uniquement de raconter des histoires, mais aussi de comprendre les nouveaux outils par lesquels on peut les raconter. Ceux qui participent à ces mouvements là vont prendre de l’avance sur d’autres en matière de savoir faire. L’écart va ainsi se creuser avec ceux qui n’ont pas pris le train en marche. Il y a aujourd’hui un besoin d’information, de communication et de formation sur ces nouveaux enjeux et outils. Il faut continuer à expérimenter et à investir en R&D.
Bénédicte Lesage a souhaité conclure son intervention en insistant sur la nécessité d’adapter la législation du droit d’auteur pour correspondre à ces nouveaux modes de narration. En effet aujourd’hui, dans un projet comme Addict, il y a des auteurs de la première histoire, ensuite les auteurs de la partie documentaire, ceux de la fiction, sans oublier les concepteurs du site, et plein d’autres intervenants encore…
En tant que représentant d’une chaîne de télévision, Hadrien Cousin a présenté la démarche par laquelle un diffuseur prend la parole et occupe la place sur Internet face aux pure players. Comment transpose-t-on un savoir faire audiovisuel sur le web ?
Cela commence d’abord par une recherche de talents qui n’ont pas été « rincés » sur Youtube ou Dailymotion. Il y a une volonté de la part de CANAL + de création originale propre. Une fois que ce choix a été fait, une chaîne a plusieurs options pour sa stratégie de web-série :
• On se base sur la création télévision. C’est ce que font les américains, quand on est ABC et qu’on a un programme comme Lost, on va occuper l’espace sur le web via un annonceur, qui va profiter de la force de la franchise, pour proposer des contenus alternatifs sur le web, avec des programmes et des fictions dérivés. Ces types de créations ont des audiences garanties ou presque, car les fans de la série télévisée seront enclins à chercher de l’information et des programmes supplémentaires sur le web
• Il existe aussi des producteurs qui proposent à des chaînes des projets transmédia, à l’image d’un programme comme Harper’s Island diffusés sur CBS. Dans cette fiction, entre deux épisodes, l’expérience était prolongée sur Internet. Dans ce cas de figure, on est sur du transmédia natif.
Le groupe CANAL + a choisi d’occuper l’espace de la création sur le web, en créant un label de création originale sur le web, à l’image de ce qui a été fait à la télévision.
L’un des plus gros succès de CANAL + sur Internet est Kaira Shopping. Ce programme a été proposé par une maison de production qui n’était pas un petit groupe d’inconnus présents sur le web, mais des anciens salariés de MTV qui sont allés voir des producteurs pour proposer un pilote qui correspondait à la ligne éditoriale de Canal.
CANAL + a donc choisi de prendre le risque de financer les premiers épisodes, et cela a payé, car aujourd’hui les épisodes de Kaira Shopping ont été vus plus de 3,5 million de fois.
Suite au lancement du concept, un démarchage d’annonceurs a eu lieu, et Pepsi qui cherchait un programme pour se relancer en France est venu sur le projet qui a été coproduit par CANAL +. Après cela, d’autres partenaires ont été démarchés afin de créer une franchise, une marque. SFR a suivi sur le mobile et Internet, un DVD a été lancé et il a été proposé à Pepsi de s’approprier le code de Kaira. L’entreprise a d’ailleurs repris Kaira Shopping pour tourner un spot publicitaire de télévision. Cette reprise est d’ailleurs bénéfique pour le producteur qui touche des droits ainsi qu’une publicité indirect. Pour l’instant, Kaira Shopping est le seul véritable succès Internet du groupe CANAL +, mais le groupe ne désespère pas d’en trouver d’autres.
Hadrien Cousin, en tant qu’acheteur potentiel de web-séries a eu l’occasion de se voir proposer de nombreux projets. Il a ainsi constaté qu’on lui proposait beaucoup de programmes courts, et que dans la tête de nombreux producteur, le web c’est la poubelle de l’antenne, on se dit que le web peut être un moindre mal si un projet n’est pas pris à la télévision. Or, ce n’est pas parce que c’est court que ça va marcher sur Internet. Il faut pouvoir créer un univers. CANAL + n’est pas très preneur de programmes courts formatés pour du sponsoring antenne. Ce que cherche Hadrien Cousin actuellement, ce sont des créations uniques.
Internet est un monde particulier auquel il faut s’adapter et qu’il faut comprendre. Il ne s’agit pas d’y lancer n’importe comment des produits formatés pour la télévision. Ainsi, Canalstreet, le portail dédié aux cultures urbaines, créé en partenariat avec Génération FM a lancé une émission en live tous les vendredis soir, car à cet horaire il y a beaucoup de 15-24 ans sur Internet. C’est une manière d’aller à la rencontre d’autres cibles qui ne sont pas à la télévision et en s’adaptant à leurs besoins et leurs habitudes. CANAL + travaille également sur une écriture purement web, et non pas un format de télévision transposé sur Internet. Il faut s’adapter à la consommation sur Internet, il s’agit de tordre la fiction pour la faire entrer dans le net et non le contraire. Il faut fournir de l’histoire, de la fiction, les faire voyager et développer le côté ludique d’Internet. Il ne faut pas avoir peur de faire du ludique, HBO, l’a par exemple très bien montré avec son projet HBO Imagine, une fiction faite pour le web, avec une multiplicité des points de vue. Suivant le point de vue qui est adopté par l’internaute, celui-ci va voir l’histoire de telle ou telle manière.
Bénédicte Lesage a souhaité nuancé l’importance du projet Imagine qui selon elle a perdu une partie de l’enjeu de la fiction, à savoir l’histoire.
Hadrien Cousin a précisé que CANAL + travaille actuellement avec CAPA sur un projet de web-fiction totale. Le salut de la web-fiction passera par la réunion de talents issus de plusieurs milieux, web, tv, jeux vidéo, pub… Il faut que le format soit total, il faut qu’il soit adapté et adaptable à l’ensemble des supports, mais aussi que les producteurs fournissent tout un univers de contenus que cela puisse être du texte, de la vidéo, de la radio, des images…
En conclusion, Hadrien Cousin a rappelé qu’il était essentiel de ne pas oublier l’aspect ludique et immersif du web, tout en développant cela dans un univers fictionnel cohérant
Brice Homs a aussi constaté que dès que l’on agrège des formats et des talents différents, il faut savoir garder une cohérence globale au sein d’une histoire, d’où l’importance du showrunner présent aux Etats-Unis, qui est le garant de l’unité et de la cohérence de chaque épisode et de chaque déclinaison d’une série. Il est important d’avoir une vision et une cohérence dans le projet, il faut garder une cohérence entre les différents médias. Il faut créer et développer de nouveaux métiers, comme aussi celui de story architect.
Enfin, Dédess qui a créé le JT des Quartiers a présentE un nouvel outil lancé récemment par Facebook, Open Graph. Ce nouvel outil permet d’intégrer les publications des facebookers directement sur le web et donc d’améliorer encore plus l’impact communautaire d’une page. Ce système qui a permis au dernier épisode du JT des Quartiers d’avoir une audience beaucoup plus importante que d’habitude, démontre bien l’importance du linkage sur Internet.
En conclusion, il apparait à la suite de cette première séance sur la convergence, qu’Internet n’est pas encore l’Eldorado que l’on peut imaginer. Dans le meilleur des cas, il permet à de jeunes créateurs de fiction de faire leurs premiers pas avant de pouvoir se lancer dans la télévision, dans le pire des cas, il devient un « ghetto », ou une « poubelle » dans laquelle on retrouve l’ensemble des rebuts de la télévision.
Le fait que seules les chaînes de télévision, et le CNC, soient aujourd’hui capables de financer la production de ces web-séries est également un constat important. Que des chaînes comme ARTE ou CANAL+ souhaitent investir dans des web-fictions est la preuve qu’il existe un avenir dans ce type de créations pour le net. De même, les fictions transmédia, à l’exemple d’Antigone 34 sont également soutenues par les diffuseurs et peuvent permettre à ces diffuseurs d’aller à la rencontre d’un public qui est moins présent devant sa télévision.
Quoi qu’il arrive, il est aujourd’hui évident que nous ne sommes qu’au début d’un phénomène qui va s’amplifier. Il faudra encore investir dans la recherche, continuer à expérimenter, suivre l’évolution des modes de consommation des internautes, des technologies numériques et des méthodes de narrations adaptées à ces supports.
En ce qui concerne le financement de ces programmes, il est probable que les diffuseurs resteront les principaux financiers, mais il faudra faire preuve d’imagination pour aller cherche d’autres types de financement, marques, fournisseurs d’accès internet, opérateurs mobiles, hébergeurs…
Enfin, la séance a bien montré la réalité et la nécessité d’un travail collectif associant déjà créateur du web et créateurs de l’audiovisuel au service de narrations se déployant sur l’ensemble des réseaux.