Synthèse de la séance du lundi 19 octobre 2009 sur les mutations industrielles du secteur des médias.
Après les deux premières réunions sur les mesures d’urgence à prendre pour sortir le secteur audiovisuel de la crise et sur des mesures à plus long terme de relance de la création et de la production de programmes, le Club Galilée a organisé sa troisième séance sur les entreprises. Cette séance, organisée en présence de représentants de fonds d’investissements, a permis de mieux saisir les nécessités d’évolution des entreprises de l’audiovisuel. Antoine BODET, directeur d’investissement àAlliance Entreprendre, Henri de BODINAT, Président deTime Equity Partners, Sophie DINGREVILLE, partner àIris Capitalet Laurent VALLET, directeur général de l’IFCICont apporté leurs analyses d’experts du financement des médias.
Une industrie sous-capitalisée : « de nouvelles sources de financement et de croissance à trouver »
1. L’audiovisuel, un secteur pas assez encourageant pour les investisseurs
Aujourd’hui, le secteur de l’audiovisuel « classique », producteurs et diffuseurs en premier lieu, manque d’investisseurs. En effet, si les investisseurs plébiscitent les acteurs des nouveaux medias (Internet, mobile, Jeux Vidéo…), ils sont réticents vis à vis des producteurs et des diffuseurs.
Plusieurs facteurs expliquent ce manque d’appétit des investisseurs :
• Des objectifs de rentabilité trop importants par rapport aux possibilités du secteur : l’ensemble des représentants des fonds d’investissements présents ont fait part d’objectifs de rentabilité très élevés pour les entreprises dans lesquelles ils souhaitent investir. Les fonds recherchent des entreprises avec un chiffre d’affaires déjà significatif, en croissance, qui font des profits et génèrent du cash, et surtout qui soient présentes dans des secteurs eux mêmes à forte croissance
• Une industrie du prototype : lorsqu’un fonds achète une entreprise, c’est afin de la valoriser et de la revendre avec profit. Pour revendre une entreprise, il faut que celle-ci génère de l’argent de manière récurrente. Or, l’un des problèmes fondamentaux de l’industrie de l’audiovisuel est que c’est encore une industrie du prototype. La récurrence est quasiment inexistante, un film ou un documentaire peut générer des revenus importants, alors que le prochain peut être un flop, il n’y a donc aucune assurance de revenus réguliers.
• L’absence d’une logique entrepreneuriale chez les producteurs : Un bon producteur n’est pas nécessairement un bon entrepreneur, et souvent les producteurs se focalisent sur des projets (un film, une fiction, un documentaire…) sans avoir l’approche d’un entrepreneur qui développe son entreprise sur le long terme.
2. L’absence de Venture Capital dans le secteur et la dépendance aux aides
Le secteur des médias souffre de l’absence de Venture Capital (fonds qui investissent dans des petites entreprises dans leur phase initiale de développement). Ainsi, à l’image des fonds comme IRIS, TIME ou Alliance Entrepreneur, la majorité des fonds qui investissent dans le secteur sont des fonds de capital développement (fonds qui investissent pour développer une entreprise qui fait déjà des profits et qui a déjà atteint une certaine taille).
Entre la start-up qui démarre grâce à l’investissement de ses fondateurs et la PME qui fait plus de 5 M€ de chiffre d’affaires et qui souhaite se développer, il n’existe donc que peu d’aides pour se développer.
Cette absence de partenaires capables de financer le développement initial des entreprises est un problème courant du secteur. C’est une structure industrielle dans laquelle les PME et les TPE dominent. Si cette situation permet une réelle diversité éditoriale, les investisseurs ne sont pas encouragés à investir dans l’une ou l’autre de ces petites structures. Il y a donc nécessité pour les entreprises, et plus particulièrement pour les producteurs, de s’allier afin d’attirer les investissements. Plusieurs pistes peuvent être étudiées, regroupements industriels, associations de producteurs, rachats…
Ainsi, pour de nombreuses entreprises, la dette remplace les fonds propres. C’est ainsi qu’une structure comme l’Institut pour le Financement du Cinéma et des Industries Culturelles (IFCIC) joue un rôle primordial. En effet, en garantissant les prêts bancaires aux industries culturelles jusqu’à hauteur de 70%, l’IFCIC permet à de nombreux producteurs d’avoir accès à des prêts bancaires et donc de combler leur manque de fonds propres.
Cette situation où l’industrie survit grâce aux aides de l’Etat (le nombre de subventions à la culture et au cinéma, que ce soit de l’IFCIC, du CNC ou d’autres organismes, est très important) permet certes d’avoir de nombreux producteurs, mais n’encourage pas la constitution de véritables groupes qui puissent tirer l’ensemble du secteur.
3. La nouvelle réglementation bancaire, une menace sur l’IFCIC
Laurent Vallet, directeur général de l’IFCIC, a souhaité pointer du doigt les nouvelles réglementations bancaires internationales actuellement en discussion. Si ces nouvelles règles sont une nécessité pour mieux contrôler la prise de risque des banques, elles ne sont pas du tout adaptées à une institution comme l’IFCIC qui y sera pourtant soumise. Ainsi, en demandant aux banques d’être plus attentives aux notations des entreprises et à leur bilan, on risque d’accentuer encore plus le sous financement de l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel.
Si l’IFCIC doit prendre en compte le bilan des producteurs, et donc le niveau de leurs fonds propres, il est évident que de nombreuses sociétés seront de facto écartées de l’accès à ses aides, la majorité des entreprises du secteur fonctionnant avec une quasi-absence de fonds propres, les prêts garantis par l’IFCIC permettant de financer leurs investissements. Il est donc nécessaire de sensibiliser les pouvoirs publics à ce risque afin qu’une disposition puisse être introduite permettant à l’IFCIC d’être exemptée de ces nouvelles contraintes.
4. Internet, une rupture majeure
Internet a complètement changé la manière dont le public consomme les images, et avec cela les business models des entreprises du secteur de l’audiovisuel.
L’arrivée d’internet et la rupture numérique qui va de pair a eu plusieurs conséquences sur le secteur :
• Une baisse des coûts de stockage : stocker un film, une image ou un son ne coûte aujourd’hui, grâce au numérique, quasiment rien. Ainsi, il est beaucoup plus rentable de distribuer des produits sur Internet qu’en magasin (ceci explique notamment le succès d’Itunes)
• Une baisse des coûts de production : la numérisation a permis de diviser par trois ou quatre les coûts de production d’un album
• Une baisse des coûts de transmission : grâce à Internet et au haut débit, la transmission de fichiers numériques devient quasi instantanée pour un coût presque nul.
Avec l’arrivée d’Internet, l’industrie a dû faire face à de nouveaux risques comme le piratage de ses œuvres, mais il existe aussi de nombreuses perspectives de développement, dès lors qu’une activité peut mettre à profit les baisses de coût observées pour construire un nouveau modèle économique à des activités jusque là hors de prix...
5. Les nouveaux médias et le cross media
Lorsque l’on demande aux représentants des fonds d’investissements quel est le domaine des médias dans lequel ils souhaitent le plus investir, ils répondent tous sans hésiter : les nouveaux médias.
Ainsi, plusieurs nouveaux « business models » ont émergé et doivent être étudiés par les médias « traditionnels » qui souhaitent se développer :
• Le freemium : à partir d’une plateforme gratuite (souvent un jeu, mais cela peut également être un réseau social, voir une plateforme de contenus audiovisuels), permettre aux utilisateurs d’effectuer des micro-transactions pour avoir accès à certains bonus (cf la séance sur les Jeux vidéo et la présentation de Nicolas Gaume sur Black Mamba Nation).
• La délinéarisation : grâce à Internet, mais également au mobile, le public peut avoir accès à ses contenus tout le temps, partout et sur tous les supports possibles. De nombreux projets se développent dans ce domaine avec une volonté, en ce qui concerne l’audiovisuel, d’échapper à la domination d’un acteur unique comme cela peut être le cas d’Itunes dans la musique. Ex : Hulu, Youtube, Dailymotion…
• La personnalisation : de nombreuses entreprises se créent sur l’idée de personnaliser des flux musicaux, d’information, de contenus…, des entreprises qui développent des radios personnelles, des TV personnelles et bien sûr des agrégateurs d’informations. Ex : Deezer, Habbo Hotel
• Communautés : au-delà des sites strictement communautaires qui se créent comme Skyblog, Facebook ou Myspace, il devient aujourd’hui nécessaire pour chaque média d’avoir un volet communautaire, qu’il soit déjà présent sur Internet ou non.
• La contextualisation : aujourd’hui grâce à Internet, les annonceurs ont de plus en plus d’informations sur les internautes et peuvent donc cibler la publicité. Ainsi, les utilisateurs ont de plus en plus accès à des publicités qui peuvent les intéresser, rendant celles-ci d’autant plus pertinentes pour les entreprises.
• Le cross media : Une perspective de développement pour les producteurs est de développer des contenus qui soient disponibles sur plusieurs supports, TV, Internet, mobile… Ainsi, Alliance Entreprendre a participé au financement de Making Prod, une société de production qui travaille activement au développement de contenus cross media.
• La 3D : Dernier élan important, la 3 D. Après la HD, la 3D est le prochain vecteur de développement de l’industrie avec plusieurs problématiques à gérer, les investissements pour équiper les salles, la technologie (lunettes ou pas)…
6. Faire évoluer l’approche des médias traditionnels
Avec l’arrivée de ces nouveaux vecteurs de développement, on aurait pu s’attendre à ce que les acteurs traditionnels des médias soient les premiers à en profiter. En effet, ceux-ci disposent d’une expertise en création et en diffusion de contenus, de même qu’ils connaissent l’importance de l’éditorialisation, ils avaient toutes les cartes en main pour profiter de ces bouleversements. Pourtant, l’évolution reste encore timide.
Les principaux acteurs de ces nouveaux marchés (Internet, mobile…) sont de nouveaux entrants, souvent des start up dirigées par de jeunes entrepreneurs. Les médias traditionnels ont été lents à intégrer ces nouveaux business models, préférant se concentrer sur leurs marchés. Ils sont apparus tétanisés par ces évolutions.
Ce retard chez les acteurs traditionnels, et les diffuseurs, s’explique aussi par une génération de décideurs, présente depuis de nombreuses années et qui n’a pas compris la rupture numérique. Il est donc nécessaire que les acteurs traditionnels fassent appel aussi à une nouvelle génération qui sera mieux à même d’appréhender les potentiels de croissance des nouveaux médias.
7. De nouvelles sources de profitabilité à étudier
Pour les investisseurs, la production de contenus reste au centre de la création de valeur. Ainsi, les producteurs, peuvent être confiants dans l’avenir à condition de faire évoluer leur business model vers de nouvelles sources de rentabilité.
Au-delà des pistes déjà évoquées plus haut, il existe plusieurs autres moyens pour les entreprises du secteur de développer des modèles pérennes. Ainsi, à l’avenir, les chaînes devront multiplier les partenariats. De même pour les producteurs. Sinon, les sociétés de production continueront à survivre grâce aux aides de l’Etat, mais sans pour autant se développer et réussir à vivre sur leurs propres fonds.
Afin d’assurer des revenus constants et de sortir, au moins en partie, de cette artisanat du prototype, il faudra développer des « marques » qui seront disponibles sur tous les supports. Ces marques devront s’appuyer sur des contenus « durables » à l’image des séries qui assurent une certaine continuité tout en pouvant être développées sur plusieurs supports. De même, les catalogues et les droits dont disposent les producteurs, véritables richesses, devront être mieux mis en valeur afin de pouvoir en tirer des revenus réguliers.
Enfin, il faudra que l’ensemble du secteur monte dans la chaine de valeur. Cela passe par approche plus industrielle du secteur, que ce soit dans l’écriture des scénarios ou dans la production de contenus. Malgré le manque de financement, la recherche et développement restent primordiaux. De nouveaux projets et surtout de nouveaux formats devront être développés, seuls ou en partenariats avec d’autres producteurs, afin d’être mis en place en France, mais également exportés. Il faut prendre conscience que la mondialisation touche également les contenus et que le marché français ne doit plus être l’unique débouché pour les entreprises de l’audiovisuel.
Conclusion
Il existe donc une véritable contradiction entre la récurrence nécessaire aux investisseurs et la primauté au prototype de l’œuvre audiovisuelle. Pour l’instant, le système d’aides a favorisé l’œuvre individuelle, alors que du côté des investisseurs et des diffuseurs il y a un véritable besoin de récurrence.
Le secteur doit donc s’industrialiser, sans pour autant abandonner ses valeurs, rechercher de nouvelles solutions de croissance, que ce soit dans la récurrence, ou via Internet, et les nombreuses possibilités qui s’offrent sur ce nouveau support.
Malgré les difficultés actuelles, l’avenir appartient aux producteurs, et aux détenteurs de droits, qui une fois de nouveaux relais trouvés, sauront être un facteur de développement de l’industrie des contenus.
Le principal défi pour le secteur de l’audiovisuel est de trouver un nouvel équilibre entre industrie et artisanat, entre formats récurrents et création d’œuvres. C’est à cette tâche que le Club va s’attacher dans ses prochaines réflexions.