La nouvelle création audiovisuelle – Séance du 14/06/2012
Dans le cadre du festival Futur en Seine
Panel :
Lionel ABBO – Shine France
François BERTRAND – Caméra Lucida
Valérie BOURGOIN – CNC
Jean-Jacques GAY – SCAM
Bénédicte LESAGE – Mascaret Films
Problématique :
Nous savons à quel point il est essentiel de développer la R&D dans la nouvelle économie.
Ce constat concerne aussi les secteurs de l’audiovisuel et du numérique. En particulier quand il s’agit de création.
Il faut ainsi, aujourd’hui encore plus qu’hier, mobiliser des moyens importants en amont, avant la production, en recherche et développement sur les projets de création.
Pour écrire, mettre au point les dispositifs télévisuels, fabriquer des maquettes, des « pilotes », des numéros « zéro »…
Or la France, en cette matière est en retard. Elle investit en R&D à peine plus de 3% des sommes consacrées à la production audiovisuelle. Très en retard par rapport à des pays européens comparables comme la Grande Bretagne, l’Allemagne ou les pays d’Europe du Nord.
Certes un effort a été fait dans notre pays sur les dernières années, pour financer davantage le développement en matière de création audiovisuelle.
Après les aides à l’écriture, ont été en effet ainsi mises en place celles à la préparation, à la fabrication des pilotes en fiction…
Mais les sommes en jeu restent nettement insuffisantes. Et la France, n’a pas développé une nouvelle industrie des programmes audiovisuels, celle des « formats » dans l’univers de la création de fictions ou de documentaires.
Or nous devons constater que le marché des « formats » est de plus en plus important. C’est celui qui connaît la plus forte croissance en particulier à l’exportation. Notre voisin la Grande Bretagne est le premier pays dans ce domaine.
La mise au point des « formats » demande des moyens en R&D particulièrement importants.
Il s’agit en effet de financer la recherche et le développement non seulement de la documentation, de l’écriture, mais aussi des concepts et des « pilotes » et de tester ceux-ci sur différents marchés nationaux.
Ajoutons qu’à l’heure de la convergence numérique et de la « tv connectée », la création audiovisuelle devient de plus en plus hybride associant télévision et Internet. Cette création doit être capable en particulier de se déployer sur les différents écrans et les multiples réseaux.
Compte rendu :
Dans le cadre du festival Futur en Seine et en partenariat avec Digitalarti et la SCAM, le Club Galilée organise une séance sur les nouvelles écritures.
Jean-Jacques Gay introduit la table ronde et présente la commission des arts numériques qui a pour mission de récompenser les œuvres innovantes. La SCAM défend les auteurs et met au point la nouvelle notion d’auteur collectif.
Philippe Chazal ajoute quelques mots sur le Club Galilée qui traite de la question des médias et propose un double débat sur les enjeux éditoriaux d’une part mais aussi économiques et financiers.
Valérie Bourgoin prend la parole en premier. En tant que responsable des nouveaux médias au sein du CNC, elle nous présente un panorama de ce qui a été constaté concernant les créations qui ont reçu le soutien du CNC et les types de projets qui ont été aidés. On peut ainsi avoir un aperçu des tendances.
En 2007, le CNC lance un appel à projet à titre expérimental pour accompagner les projets destinés à trois médias (c'est-à-dire trois médias sur les cinq : télévision, internet, jeu vidéo, mobile et cinéma). Les aides sont apportées aux producteurs et aux auteurs pour des projets plurimédias. L’objectif de la commission est de mettre en lumière des compétences croisées et son budget est de 3 millions d’euros, environ 30% des projets sont soutenus. Depuis 2007, 60 projets ont été réalisés et mis en ligne. Valérie Bourgoin précise qu’il faut espérer que les projets mis en ligne débouchent sur une production qui serait la prochaine étape. Logiquement, le développement web possède un budget moins important, quant à l’aide sur les projets transmedia, elle est plafonnée à 80 000 euros.
Parmi les projets transmedia, les combinaisons les plus fréquentes sont : télévision, internet et mobile, la production, elle aussi développe des compétences variées. Le nombre de producteurs est majoritaire, car en effet 24% des projets seulement émanent d’auteurs. Cela peut s’expliquer par le métier de producteur et son rôle fédérateur qui exige une large palette de compétences notamment au niveau organisationnel.
Pour les projets web, ce sont pour 79% d’entre eux des documentaires, la fiction est encore peu représentée, souligne Valérie Bourgoin. Elle ajoute également que le genre de l’animation devrait beaucoup se développer avec les tablettes notamment.
Le webdocumentaire est accompagné d’un vrai point de vue d’auteur sur le contenu et le graphisme. Les projets proposent différents niveaux d’interactivité. Valérie Bourgoin évoque le documentaire bimédia et le reverse broadcast, c’est dire lorsque la mise en ligne sur internet précède la diffusion télé. Pour la fiction, la construction narrative repose sur le rôle actif du spectateur, ainsi l’histoire se répond sur les deux écrans.
Elle met également l’accent sur les jeunes auteurs qui ont une pratique innovante du web, des compétences qui peuvent enrichir une production et proposer un contenu web aux formes nouvelles.
Suite à plusieurs questions, Valérie Bourgoin revient sur l’exemple de Braquo, une fiction transmédia aboutie. Ces projets nécessitent systématiquement un soutien du diffuseur, la production doit trouver son financement télé pour se réaliser, cependant les rythmes sont différents, entre le web et la télévision, il faut trouver une coordination, ce qui n’est pas toujours acquis. Pour les diffuseurs, l’objectif est d’associer des compétences venues du web et des nouvelles technologies.
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Bénédicte Lesage prend la parole en tant que présidente du SPI et productrice. Le SPI a mis au point une commission nouveaux médias. Il faut aujourd’hui réfléchir aux pratiques nouveaux médias et fixer une terminologie commune, les termes de plurimédia, transmédia ou crossmédia sont parfois difficile à distinguer et ce vocabulaire n’est pas toujours compréhensible pour le grand public. Un travail d’explicitation reste donc à faire. Sur cette question, Bénédicte Lesage préfère parler de « fiction globale » ce qui permet de démontrer qu’on est encore dans l’œuvre – et ce quelque soit le support – une œuvre qui demeure centrale. Ces nouvelles écritures posent un problème juridique sur la notion d’auteur notamment ; la collaboration de personnes issues d’univers différents confronte des réalités elles aussi différentes régies par exemple par d’autres lois.
La présidente du SPI le rappelle d’emblée : sans aide, il n’y a pas de création. Les projets sont essentiellement financés par la télévision, ce qui pose un problème économique. Les productions transmédia doivent pour se développer également lutter contre l’idéologie de la gratuité du web.
Deux exemples de webfiction nous sont présentés. Une coproduction avec Arte « Addicts » d’une part. Il s’agit d’une fiction web dotée d’une narration non linéaire et qui requiert une participation du public. Chaque spectateur peut choisir sa version de l’histoire et la lecture qu’il souhaite en faire. Le projet fut ensuite diffusé sur les antennes d’Arte. Le budget de cette webfiction s’élève à 1 200 000 euros, 20 000 euros proviennent de Dailymotion et le reste des aides publics. Les fictions natives pour le web ne peuvent pas aujourd’hui être financées par les acteurs du web.
Le second exemple est la fiction « Antigone 34 ». Bénédicte Lesage souligne que sans l’investissement d’une chaîne dans le développement, il n’y a pas de possibilité de transmédia. Un dispositif qui préfigure la télévision connectée. Dans le cas d’Antigone 34, l’enquête principale mène à la révélation du meurtrier, une intrigue enrichie sur d’autres écrans, où le spectateur peut récolter des informations qui ne sont jamais développées dans la série. Après la diffusion, il y a eu des pics de fréquentation du site internet qui témoigne d’un véritable intérêt du spectateur attiré par les contenus inédits du web. Le multiécran nécessite l’intégration en amont. Le budget de la série TV Antigone 34 est de 5 400 000 euros, dont 20 000 euros viennent de France Télévisions en plus de l’hébergement sur leur site, et 40 000 euros de la ville de Montpellier. Les aides la région sont un recours non négligeable pour les producteurs. Notons que plusieurs auteurs de cette webfiction viennent de l’univers du jeu vidéo, un des auteurs était responsable des scénarios chez Ubisoft.
Bénédicte Lesage le rappelle : les acteurs d’internet ne sont pas capables de financer ce genre de projets. Les investissements des acteurs nouveaux médias restent faibles ; mais les diffuseurs manifestent un intérêt croissant pour ce type d’expérience et mettent en place des équipes spécifiques. Une mécanique est à mettre en place pour la R&D. Philippe Chazal souligne que Cap digital propose des financements mais les aides s’adressent à des projets dans lesquels la dimension technologique est importante. Entre le CNC et Cap digital, il manque peut-être un dispositif pour les projets hybrides.
Directeur de Caméra Lucida, François Bertrand nous présente ses projets de webdocumentaire.
Pour Arte, il a produit notamment « La carnaval des animaux » qui allie fiction, captation et animation, « Mission printemps », un web magazine avec plusieurs programmes à l’antenne et « Blow up », un magazine sur l’actualité du cinéma ou presque.
Il explique que pour ces projets le financement est compliqué à trouver. Des financements privés comme celui de la Société générale ont pu venir soutenir ces productions. Mais dans tous les cas, il faut réunir plusieurs partenaires et agréger plusieurs sources de financement.
Le site internet de Mission printemps coûte plus cher que le film et une partie de son financement vient des apports des industriels. Le site a proposé plusieurs missions, chacune d’entre elles nécessitaient la participation du spectateur. On pouvait alors compter les vers de terre, les hirondelles ou encore les fleurs de la ville. Il est indispensable d’animer et de scénariser le site pour susciter l’envie au spectateur d’y passer du temps. De plus, il faut être capable de rebondir ce qui a été capitalisé, c'est-à-dire prolonger cette notoriété sur le net en la faisant vivre et évoluer en gérant la communauté nouvellement acquise.
A la fin de son intervention, François Bertrand dit quelques mots concernant l’arrivée de Chloé Jarry qui a récemment rejoint les équipes de Camera Lucida.
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A son tour, Jean-Jacques Gay ajoute un commentaire sur les auteurs, un statut d’auteur qui doit aujourd’hui agréger plusieurs compétences. La commission des arts numériques qui s’intéresse beaucoup aux projets transmédias qui selon lui regroupent trois enjeux :
$1- Un problème d’usage : l’auteur doit prendre en compte la participation du spectateur et se mettre à sa place pour créer de l’interactivité
$1- Un problème de contrat d’auteur : comment déclarer un travail d’auteur sur un projet transmédia et quelle législation s’applique ?
$1- Un problème de diffusion : quels seront les tubes pour ces projets ? et quel rôle remplissent-ils ?
Les nouvelles écritures proposent des concepts très novateurs qui agrègent des compétences variées. Philippe Chazal rappelle que la richesse et la créativité de l’art numérique s’expriment pour l’essentiel de l’art contemporain et que conduire les auteurs digitaux vers des expériences et des œuvres audiovisuelles est une vraie innovation. Un objectif de la plateforme d’Arte créative dédiée à la jeune création.
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Le dernier intervenant à parler est le Directeur du développement de Shine France, Lionel Abbo qui avait lors d’une précédente session du Club présenté la notion de format audiovisuel.
Shine France produit de la fiction (MI-5, Merlin, The Bridge) et du flux (Masterchef, The Voice, Babyboom). La stratégie de la filiale française est avant tout de se positionner comme une société de production de contenus (non pas seulement audiovisuelle). Leur rôle serait de convaincre que la diffusion télévisuelle n’est pas – n’est plus aujourd’hui – suffisante. En effet, pour rencontrer un public (sous entendu le plus large possible) le programme se doit d’être multiécran. Pour pouvoir lui parler, le programme cherche son public là où il se trouve. Dans le cas de The Voice, la volonté était de rendre présent le programme partout où son public potentiel se trouve. TF1 se positionne comme un diffuseur global. En ce sens, la diffusion de The Voice a dépassé le cadre de la télévision pour aller trouver son public cible, les 15-34 ans, qui sont aujourd’hui davantage devant leur écran d’ordinateur sur les réseaux sociaux. L’ambition était alors de faire venir un public qui était parti.
La production est la plus transversale possible, un choix qui nécessite un financement. Lionel Abbo est d’avis qu’il faut réunir tous les intervenants autour de la table. Pour défendre son programme, Shine souhaite le présenter comme une marque qui véhicule des valeurs positives et fédératrices, un message positif auquel l’annonceur cherche à s’agréger. L’intérêt pour les annonceurs et d’adhérer aux valeurs du programme afin de jouir de cette bonne image.
Pour Lionel Abbo, la logique de marque induit aussi une logique de merchandising avec la commercialisation de produit dérivés qui en quelques sorte prolongent l’expérience, sur lesquels il est possible de tirer un bénéfice économique.
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En conclusion, cette séance a mis l’accent sur les nouvelles écritures audiovisuelles et les projets déployés sur plusieurs écrans. Des projets transmédia qui demandent des compétences nouvelles venues du web et des nouvelles technologies. Des écritures qui interroge la notion d’auteur et posent la question du financement. On remarque que même concernant la fiction ou le documentaire, le format est de plus en plus souhaité car il permet d’être reproduit et décliné plus rapidement.