Télévision et Musique séance du 10/03/2014
Cette session est en partenariat avec la SACEM et en présence de son directeur général Jean-Noël Tronc
Panel :
Alexandra Clément, Productrice – Act4 Productions
Emelie De Jong, Directrice de l’unité arts et spectacles – Arte France
Alain-Yves Detroyes, Directeur général adjoint – Air Productions
Matthieu Grelier, Producteur de The Voice – Shine France
Bruno Laforestrie, Président générations développement
Antoine Michel, Directeur général adjoint – TraceTV
Stéphane Simon, Producteur fondateur – Téléparis
Christophe Winckel, Directeur – Mezzo
Problématique:
La relation entre musiques et télévisions est une problématique complexe.
Nous allons tenter d’en actualiser les termes.
Commençons par le constat. La musique est-elle présente sur les écrans : oui et non.
On craint d’abord que la musique ne soit pas assez « fédératrice » en termes d’audience.
Parlons alors des succès et depuis quelques années de la vague des nouveaux formats musicaux que sont les « talents shows ». Exemple The Voice. L’innovation ainsi rassemble.
Parlons aussi de la diversité musicale. Toutes les musiques sont-elles présentes sur l’écran de télévision ?
Oui et non. Question là aussi, nous semble-t-il, d’innovation. Exemple : la musique classique est très tardivement programmée sauf quand il s’agit d’un concept innovant comme La boite à musique de Jean-François Zygel produit par Téléparis.
La diversité est aussi présente sur la télévision thématique payante accessible par abonnements ou sur des plateformes musicales gratuites sur le Net.
Quelques exemples : MTV, Trace tv, Mezzo…pour les premières et Youtube, Arte Live…
Des expériences nouvelles sont tentées sur ces écrans. Mais trop souvent avec peu de moyens.
Ainsi il nous semble pertinent de placer au centre de cette problématique de la relation entre Musiques et Télévision, l’innovation audiovisuelle. Et plus particulièrement les moyens accordés à cette innovation. Est-elle encouragée et soutenue ?
Nous devons constater que dans ce domaine, le cadre général a peu évolué.
En effet sont « aidés » au titre de la création audiovisuelle les documentaires musicaux.
Les captations de concerts, peu. Et à certaines conditions particulièrement contraignantes. Ce n’est pas la musique qui compte dans ce cas, mais le travail audiovisuel sur la musique.
Et malheureusement aucun encouragement pour les variétés ou les divertissements qui sont les programmes qui intègrent le plus la musique et les musiques.
Comment faire progresser la situation de la musique sur les écrans notamment celui de la télévision ?
En encourageant la mise au point de nouveaux concepts de programmes musicaux et donc en aidant l’innovation audiovisuelle en matière de programmes musicaux.
L’innovation est, nous semble-t-il, la clé pour installer la diversité et rencontrer le succès quand il s’agit de musique sur les écrans
Compte rendu:
Le Club Galilée organise une session sur le thème Musique et Télévisions en présence de M. Jean-Noël Tronc qui dirige la SACEM. La SACEM qui représente une parole importante pour le secteur et contribue à faire évoluer l’approche de la musique et en particulier de celle ci à la télévision notamment grâce à l’étude du cabinet Ernst & Young sur le poids du secteur culturel.
Jean-Noël Tronc note en guise d’introduction que la France ne se pose pas toujours les bonnes questions, liées aux problématiques actuelles. De ce constat est née l’idée du panorama des industries créatives afin de rectifier quelques idées reçues et ainsi montrer qu’il s’agit bien d’un secteur important en termes d’emploi et de poids économique – un secteur qui pèse plus que le luxe et qui embauche.
Avec 400 nouveaux membres chaque année, la SACEM est en fait la première entreprise privée de la musique. Jean-Noël regrette la mauvaise image que l’on a parfois sur l’organisme ; on ne sait pas toujours ce qu’on y fait vraiment ; il faut aussi revoir la vision que l’on a sur le secteur qui compte beaucoup d’intermittents. Il déplore aussi la remise en cause quasi obsessionnelle du système CNC. Ainsi il faut changer le regard sur ce qui est considéré comme un problème.
Les industries culturelles sont des industries de l’offre et, dans ce contexte, la musique bénéficie d’une problématique particulière.
Jean-Noël Tronc affirme que, contrairement à ce qu’on a tendance à penser, la télévision est toujours prescriptrice pour les choix musicaux et les tendances, même si elle arrive logiquement derrière la radio, et ce également chez les jeunes.
Alors pourquoi n’y-a-t-il pas plus d’émissions à l’antenne ? Les diffusions de programmes musicaux à minuit ou en plein été ne sont plus acceptables. Le DG de la SACEM souhaite que les émissions musicales puissent être diffusées à des heures de grande écoute. En outre, le CSA souligne que la place de la musique à la télévision s’est effondrée.
Pour Jean-Noël Tronc la question du format est secondaire tant il est convaincu que la France possède toutes les ressources créatives pour briller sur ce plan. Il rappelle que des programmes comme The Voice ou les Enfoirés sont toujours de grands succès d’audience.
En résumé, la SACEM se donne 3 objectifs :
- Promouvoir la France créative en 2014
- Résoudre la problématique urgente de la musique à la télévision
- Réhabiliter des émissions de variétés à des heures de grande écoute
Philippe Chazal passe la parole à Matthieu Grelier qui est le producteur artistique du programme The Voice, un format importé qui rencontre actuellement un très grand succès chaque samedi sur TF1 et qui démontre chaque semaine que la musique peut être fédératrice d’audience à la télévision contrairement à ce que l’on pense trop souvent.
Matthieu Grelier centre son intervention sur les télécrochets. Le format The Voice est arrivé des Pays Bas en 2010. Auparavant, on avait constaté un essoufflement du genre avec deux piliers que sont Idol et X Factor qui commençaient à baisser. La Star Academy avait disparu et les journalistes disaient que c’en était fini du télécrochet jusqu’au moment de l’arrivée de The Voice sur NBC. Aujourd’hui le format est adapté dans 50 pays, en France depuis février 2012.
Matthieu Grelier explique que le programme a la particularité de fonctionner sur toutes les cibles y compris les +60 et +70 ans avec néanmoins de bonnes moyennes sur les 15/24 et 15/34. Un programme donc fédérateur qui obtient aussi de bons résultats sur le second écran. The Voice fait la promotion de tous les styles de musique et de toutes les époques avec un orchestre qui joue de la musique live. Au vu des téléchargements Itunes, on note que le programme est prescripteur sur les chansons, le succès de London Grammar en est un exemple.
Philippe Chazal souligne qu’avec The Voice on assiste également à une forme d’ascenseur social. Il faut aussi souligner la force du dispositif et la qualité de la mise en image.
La parole est ensuite donnée à Alexandra Clément qui est la productrice d’un autre programme musical emblématique : Les Victoires de la musique.
Alexandra Clément, productrice chez Act4 présente son travail qu’elle qualifie d’artisanal au service des artistes.
La production propose des marques pour faire de la variété en prime time. Elle fait aussi la promotion du mélange des genres musicaux à la télévision permettant ainsi de découvrir et d’être surpris.
Il faut aussi croire au jazz en prime time. Act4 propose enfin la diffusion de spectacles vivants comme par exemple l’opéra qu’elle part capter à partir d’ une commande de l’opéra de Marseille.
La productrice des Victoires de la musique déplore le manque de place sur France Télévisions. Dans ce contexte, il est difficile de créer de nouveaux rendez-vous et de s’imposer dans la grille.
Philippe Chazal rappelle que ce qui déclenche l’aide du CNC, ce n’est pas la captation mais le travail de remontage qui est effectué ensuite. En ce sens, c’est avant tout la partie audiovisuelle qui est aidée financièrement.
Stéphane Simon, fondateur de Téléparis, nous présente ensuite le programme La boîte à musique de Jean-François Zygel qui entamera sa 9ème saison cet été sur France Télévisions. Ce format original repose beaucoup sur la personnalité de Jean-François Zygel, grand musicien et professeur d’interprétation, qui souhaitait développer les leçons de musique qu’il avait mises en place dans un lycée parisien
Il développe un genre de pédagogie musicale, par exemple : expliquer le style de Mozart. L’émission est diffusée en deuxième partie de soirée en plein été et s’adresse surtout à un public assez âgé. Stéphane Simon note que le programme perdure en partie parce qu’il reçoit le soutien de la presse et jouit ainsi d’une belle image. Les audiences sont meilleures que celle des émissions de débat culturel. Dans le cas de cette émission musicale, on cherche à séduire aussi par la qualité du programme. Stéphane Simon explique qu’il est plus facile de séduire une petite partie du public pour se développer ensuite plutôt que de s’attacher à l’idée de séduire le plus grand nombre.
Téléparis va lancer pour France O un télécrochet, une nouvelle marque. L’idée est d’envoyer des jurys aux quatre coins du monde (dans des zones francophones) qui donneront des billets d’avion aux artistes qu’ils souhaitent soutenir. On mélange ainsi deux genres : le documentaire et la variété.
Pour finir, Stéphane Simon s’adresse à Jean-Noël Tronc et propose que la SACEM aide les producteurs à financer des projets originaux pour convaincre les diffuseurs.
Jean-Noël Tronc explique que la SACEM est partenaire de plusieurs concours. Il regrette le décalage entre télévision et cinéma en ce qui concerne le traitement de la musique. En effet, la musique au cinéma connaît un grand succès.
Rappelons-nous du phénomène The Artist. La musique est célébrée par des cérémonies comme les Grammy Awards et elle bénéficie d’une couverture presse à grande échelle. En témoigne le succès des Daft Punk outre-Manche. J
ean-Noël Tronc se réjouit que la nouvelle génération chante de nouveau en français.
Il ajoute également que la France a un problème de régulation et que l’hyperfragmentation du PAF affaiblit les grands groupes. Jean-Noël Tronc est d’avis qu’il faut absolument faire sauter les contraintes à l’exportation et à la concentration.
Frédéric Berthelot du CNC, présent parmi les membres, intervient pour rappeler que le volume produit a augmenté de 10% depuis le lancement de la TNT. A l’inverse l’investissement des diffuseurs reste constant, en conséquence le taux horaire décroît.
Dans notre panel, Pablo (à compléter) représente la chaîne Mezzo détenue à 60% par Lagardère et 40% par France Télévisions. Elle est diffusée dans 40 pays et compte 21 millions de foyers abonnés.
Mezzo propose des concerts de musique classique mais aussi de la danse avec une offre de 350h de programmes de danse.
Le défi de la chaîne est de continuer à produire un contenu très cher, l’Opéra, dont les droits musicaux sont très élevés.
Pour se développer Mezzo cherche à exporter des petits formats type backstage qui accompagnent les grands rendez-vous musicaux, qui restent de véritables rituels.
La tendance à laquelle des chaînes comme Mezzo doivent faire face est l’évolution du statut des grandes institutions musicales qui deviennent producteurs et diffuseurs de leurs contenus. Ainsi par exemple, le Metropolitan Opera de New York es devenu producteur audiovisuel de ses propres spectacles. De la même façon, de grands orchestres deviennent diffuseurs ; l’orchestre philarmonique de Berlin diffuse lui-même ses contenus musicaux.
En conclusion, la musique classique est aujourd’hui un marché mondialisé dans lequel il faut créer un modèle économique pérenne.
Pour le prochain intervenant, nous changeons de style musical, puisque Antoine Michel, DGA de Trace, nous parle de musique hip hop. Trace TV est spécialiste de musiques urbaines ; elle est disponible dans 160 pays. Trace s’est déclinée en plusieurs formats : Trace Urban, Trace Tropical, Trace Africa mais aussi Trace Sports Stars qui s’intéresse à ce qui se passe avant les matchs. 71% du chiffre d’affaires est fait hors de France et 66% du chiffre d’affaire vient de la redevance via les opérateurs. Antoine Michel constate une dévalorisation de la musique par ces opérateurs notamment due à Youtube.
Pourquoi payer une chaîne musicale alors que tous les clips sont visionnables sur les plateformes en ligne ? Pour faire face à cela, Trace a adapté sa ligne éditoriale et s’est développé sur des segments de marchés peu exploités. Par ailleurs les chaînes s’adaptent à chaque territoire.
Le groupe a lancé également My Trace, chaîne musicale personnalisée qui s’adapte aux goûts des téléspectateurs (même tendance de consommation que Spotify mais avec l’image en plus).
A été développé le format Trace Stars qui est un casting vocal par téléphone. Plus de 350 000 appels ont été reçus.
Antoine Michel est convaincu que l’innovation permanente est une des clés du succès et du développement.
Bruno Laforestrie prend ensuite la parole et explique que la révolution culturelle a eu lieu mais que la télévision elle n’a pas beaucoup changé et ne semble pas avoir remarqué ces changements. Il s’intéresse aussi aux musiques urbaines et a notamment produit Parlez-vous Céfran pour W9, un format de 13 minutes.
Bruno Laforestrie note qu’il est plus facile d’adapter des formats que de créer des programmes originaux. Il y a aussi un cantonnement des musiques urbaines du côté des chaînes.
La télévision ne met pas en valeur les artistes populaires de musique urbaine qui rencontrent pourtant un véritable succès populaire. Par exemple Maître Gims qui est une icône pour certaines générations n’a pas de place à la télévision, il ne bénéficie pas de la visibilité correspondante.
Pour Bruno Laforestie, il est primordial d’adapter non seulement les contenus mais aussi la forme des productions audiovisuelles dédiées à la musique aux générations nouvelles, celles qui impactent la société.
Le défi de l’audiovisuel public est un défi global. Le défi technologique est bien là mais le plus important reste le défi des contenus. Il insiste sur le fait qu’il faut imaginer des formats autour de personnalités populaires.
Bruno Laforestrie insiste pour finir sur la notion de pacte éditorial qui doit être construit entre les médias et la société.
Emelie de Jong intervient au nom Arte France et plus précisément la partie arts et spectacles vivants.
Avec des cases régulières de diffusion, le spectacle vivant est très largement inscrit dans l’offre et le com d’Arte.
Plusieurs rendez-vous en effet avec par exemple le classique le dimanche soir, le magazine Tracks etc. De plus, la saisonnalité joue un rôle important, à ce titre les Summer of d’Arte sont toujours un succès d’audience. Pour les Summer of soul, Arte a voulu mettre en place un corner nostalgie sur la plateforme mais l’expérience a montré que beaucoup de questions de droits sont à résoudre.
Emelie de Jong ajoute que la chaîne diffuse des événements en matière de musiques. Comme les « Folles Journées de Nantes » ou les soirées Opéra.
Arte mobilise tous les écrans au service de la musique. Ainsi la plateforme Arte Concert, ex Arte Live Web, qui propose du live, des concerts et de la danse. On compte 650 vidéos d’œuvres musicales sur la plateforme.
Arte accorde une attention toute particulière à la « catch up » et la consommation personnalisée de l’œuvre musicale qu’elle permet. Sur Arte Concerts, les œuvres sont disponibles pendant 3 à 6 mois, sans publicité et sans géolocalisation dans une logique donc de circulation des œuvres.
L’objectif est bien sûr de promouvoir les artistes français et de leur offrir une vitrine internationale mais il ne faut pas oublier qu’Arte est une chaîne européenne ce qui la différencie de se consœurs de France Télévisions.
En termes d’innovation, Arte propose des collections dédiées aux jeunes producteurs mais aussi des soirées thématiques avec l’objectif de créer du buzz musical qui circule viralement et des rendez-vous avec le public. L’innovation passe aussi par la signature de nombreux partenariats.
Emelie de Jong évoque la vaste question qui oppose toujours flux et stock. Si le flux, le live, fait partie de l’ADN d’Arte, il est parfois bien d’avoir du stock à diffuser.
Au terme de cette séance, nous avons pu découvrir plusieurs facettes de la problématique Musique et Télévisions.
Grâce à l’intervention de producteurs de programmes musicaux et de responsables de chaînes thématiques, nous avons pu mieux apprécier la variété et la qualité de l’offre audiovisuelle en matière musicale. Nous avons pu insister sur son caractère innovant.
Mais la diffusion ne suit pas. Il nous faut faire le constat que la musique disparait peu à peu de nos écrans de télévision accessible au plus grand nombre.
Jean Noel Tron au nom de la SACEM a insisté sur cette tendance. Il plaide pour le retour d’une émission musicale en prime sur les chaines publiques de grande audience.
Pourtant, de The Voice à la boîte à musique de Jean-François Zygel en passant par les Victoires de la musique, de l’orchestre philarmonique de Berlin aux artistes de musique urbaine, les professionnels du secteur ont su montrer ce soir que la musique, par son pouvoir fédérateur et la place qu’elle tient dans le quotidien des Français, avait résolument toute sa place à la télévision.