la création audiovisuelle et numérique dans 10 ans - séance du 17/09/2013
Panel :
- Frédéric Bokobza, DGMIC
- Anne Bouisset, AEGIS MEDIA
- Takis Candilis, Lagardère Entertainement
- Arnaud Druelle, Cap Digital
- Robert Eusèbe, Arte France
- Pascal Josèphe, IMCA
Problématique :
La création audiovisuelle et numérique est un enjeu très important pour la France. Il s’agit d’imaginer ce qu’elle sera dans dix ans afin de mieux penser la politique qui peut s’appliquer aujourd’hui.
Plusieurs entrées possibles dans cette problématique :
1 Où en sont les pays qui sont en avance ?
Nous savons que dans le domaine de la création audiovisuelle et numérique certains pays comme les USA, la Corée et la Grande Bretagne préfigurent ce que pourrait être la France dans les prochaines années.
Présentons ces exemples qui nous indiquent un avenir possible pour nous.
2 Et si les tendances actuelles se prolongeaient ?
Il est à la fois intéressant de faire l’exercice consistant à prolonger mécaniquement la situation d’aujourd’hui sur la lancée des tendances des dernières années.
Nous ferons cet exercice pour notre pays dans le domaine de la création audiovisuelle et numérique.
3 Quelles ruptures et nouveautés pour demain ?
C’est un exercice difficile que d’essayer d’anticiper les changements pour la période à venir. Les mutations qui vont changer les évolutions prévisibles à l’exemple des pays en avance ou liées à la prolongation des tendances d’aujourd’hui.
Mais nous allons l’essayer avec un groupe de vigies que nous interrogerons sur cet avenir « imprévisible ».
4 Les choix à faire aujourd’hui pour demain.
L’ensemble de ces réflexions vont dessiner quelques perspectives que nous pourrons retenir comme prioritaires.
Elles feront apparaître les atouts à valoriser et développer, les retards qu’il faut combler, les nouveautés qu’il s’agit de favoriser et les mutations et les abandons que nous devons accepter avec les accompagnements à mettre en place.
C’est donc les traits d’une politique avec les priorités et les choix à faire qui se dessinera.
Comme pour chaque réflexion, le Club Galilée associera dans cet exercice l’ensemble des institutions, organismes, professionnels et entreprises du secteur
Compte rendu :
Le Club Galilée fait sa rentrée 2013 avec une séance consacrée à la création audiovisuelle et numérique dans 10 ans.
Le Commissariat général à la stratégie et à la prospective qui héberge le Club, a été chargé par le gouvernement de réfléchir à la France dans 10 ans. Le Club souhaite s’inscrire dans cette même perspective. Une problématique complexe, mais un exercice de prospection qu’il faut faire.
Robert Eusèbe prend la parole en premier et nous présente le monde de demain, un monde dans lequel on constate surtout un accroissement de la connectivité, une multitude d’objets intelligents connectés pour un individu. L’objectif est l’hyperconnectivité des uns avec les autres.
Déjà aujourd’hui, les smartphones sont plus que des téléphones et nous accompagnent jour et nuit. Nous vivrons dans un numérique ambiant dans lequel l’interconnexion homme-machine est essentielle. La technologie s’efface face à l’usage.
Robert Eusèbe évoque l’internet des objets qui comprend déjà des domaines prédisposés :
$1 Contenus : la TV connectée par exemple
$1 Energie : il y aura des compteurs intelligents
$1 Santé : greffe de puces
$1 Transports : Google car par exemple
$1 Environnement
$1 Surveillance
$1 Vêtements
$1 Big data : exploration des données issues des ces dispositifs numériques
Face à cette génération de données, il faut penser les dispositifs organisationnels pour exploiter ces informations. Pour l’interface homme-machine, le portable s’impose en effet comme le meilleur outil.
Une des évolutions sera certainement la prolifération des écrans dans l’espace de la maison : sur le mobilier, l’électroménager…Il s’agit du développement de la domotique. Nous constaterons que la sphère numérique accompagne en permanence l’individu.
Concernant la télévision, les programmes seront de plus en plus interactifs, ils seront en effet pluridimensionnels avec une vue personnalisée en fonction des attentes du téléspectateur.
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Anne Bouisset prend ensuite la parole pour poursuivre l’exploration du monde de demain et ainsi nous parler des grandes tendances de la société qui se manifestent aujourd’hui parfois de manière souterraine mais qui deviendront probablement demain des tendances dominantes, c’est à dire les tendances structurantes qui impliquent des mouvements de fond.
L’exercice prospectif à dix ans est devenu très à la mode note Anne Bouisset, il permet dans un premier temps de faire un point sur le contexte dans lequel on évolue.
Dans ce registre, on a l’impression que tout peut basculer du jour au lendemain, 70% des Français estiment la société en pleine transformation, il y a en ce sens une véritable prise de conscience.
Par exemple, plus aucun doute n’est permis sur le contexte écologique compliqué. En ce qui concerne les évolutions technologiques, 61% des Français déclarent ne pas réussir à suivre toutes ces innovations. Le mouvement d’accélération général crée un sentiment de perte et de déclin. En cette matière, on note le développement d’une esthétique du déclin : Karl Lagerfeld a par exemple transformé le Grand Palais en ruine lors d’un défilé.
S’ajoute à cela un malaise collectif au sein de la société explique Anne Bouisset, de plus en plus de Français déclarent ne pas avoir confiance dans l’avenir, ils aimeraient avoir plus de solutions alternatives.
« La crise est bonne à être pensée ». Face à ce sombre constat, plusieurs réactions sont possibles, si certaines peuvent se combiner, elles font cependant appel à des mécanismes différents.
On repère 4 stratégies d’adaptation des individus face à ces perspectives qui induisent des scénarios différents :
$1 Recherche d’ancrage, de point d’appui et donc d’éléments stabilisants
$1 Posture de retrait qui implique le repli et le rejet : développement d’une défiance vis-à-vis de l’environnement
$1 Esquive, échappatoire dans le divertissement et la recherche de liberté : le jeu devient central
$1 Réinitialiser, reconstruire : réfléchir à un nouveau modèle
Si la dernière stratégie paraît la plus intéressante et la plus constructive, elle reste néanmoins minoritaire. C’est pourtant bien cette piste qu’il serait bon d’explorer, de valoriser et d’accompagner.
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Après une exploration du monde de demain, la parole est donnée Frédéric Bokobza de la DGMIC du Ministère de la Culture et de la Communication pour faire le point sur les dossiers législatifs et réglementaires en cours à la DGMIC et qui concernent le secteur à cinq ans.
Il considère que la politique publique doit être aussi faite d’anticipation. Deux préoccupations majeures : le financement et l’accès à la création audiovisuelle.
Il évoque tout d’abord l’avenir de la TNT et insiste sur le fait que la TNT a un rôle prépondérant dans la structuration actuelle et future du paysage audiovisuel en termes d’audience et d’accompagnement de la création.
Quel est son devenir dans 10 ans ? Plusieurs interrogations surgissent.
Se pose la question des fréquences. Il y a eu la libération de la bande des 800 MHz, il est aujourd’hui question de céder une portion de la bande des 700 MHz : que va-t-il rester pour diffuser la TNT ?
Se pose également la question du format : l’ultra HD est en train de se développer. Qu’en-est-il pour la TNT ? Frédéric Bokobza répète que la TNT doit garder sa place de plateforme universelle.
De nouvelles formes de diffusion apparaissent, explique-t-il : il faut s’y préparer au mieux et c’est un des enjeux du discours français et européen du moment.
Dans une seconde partie, Frédéric Bokobza souhaite soulever la question : Comment anticiper ce nouvel univers ? Pour les moteurs de recherche : quel rôle d’accès, de prescription ? Quels services audiovisuels ?
Il est certain que dans dix ans, le paysage sera beaucoup plus diversifié avec des acteurs non européens qui occuperont des places toujours plus dominantes. Comment, dans ces conditions faire évoluer les outils de régulation et le principe de financement de la création ?
La DGMIC se penche particulièrement sur la question de l’accès aux contenus car ce n’est pas la même chose d’évoluer dans un univers complètement ouvert et un univers fermé, restreint. Si le système ouvert semble donner accès au champ des possibles, il est en fait en partie organisé par les « gate keepers » qui le mettent en forme rendent visibles certains éléments plutôt que d’autres.
Il est donc illusoire de penser que dans ce type de configuration l’utilisateur lambda est totalement libre et jouit d’un accès illimité à toutes sortes de contenus. Cela constitue un enjeu très important des politiques publiques, c'est-à-dire ne pas laisser aux acteurs dominants le soin de rebattre les cartes à leur guise.
En outre et dans le contexte du rapport Lescure, l’an II de l’exception culturelle, Frédéric Bokobza s’interroge sur comment faire évoluer les outils législatifs et réglementaires.
Sur le sujet, plusieurs pistes de réflexion se mettent en place : quel rôle des FAI (fournisseurs d’accès à internet) dans le financement de la création. Il souligne que les dispositifs suggérés par le rapport Lescure ne sont pas nécessairement faciles à mettre en place. Des consultations publiques sont organisées sur ce thème précis et la discussion se mène au niveau européen.
Enfin, Frédéric Bokobza note que dix ans semblent être l’horizon pertinent pour réfléchir dès aujourd’hui à l’évolution des politiques publiques, au renouvellement, à la diversité et à l’accès aux productions.
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Matthieu Viala fait une courte intervention au nom des producteurs et de l’USPA. En temps que vice-président de l’USPA, il ne s’inquiète pas pour la création dans dix ans et imagine facilement qu’en 2023, on racontera aussi de belles histoires. Cependant, il est davantage préoccupé par la position de la France dans cet univers en plein chamboulement. Pour lui, il est urgent de faire évoluer les systèmes de soutien qui sont d’un ancien monde non compatibles avec le nouveau rapport de force entre les acteurs.
Il faut réagir, rappelle-t-il, sinon la création se fera aux Etats Unis et en Asie, une configuration dans laquelle la France et l’Europe ne seront plus du tout moteur. Cela nécessite de préparer cette situation future et « accueillir » les acteurs dominants tels que Amazon, Google et Netflicks dans les meilleures conditions et ne pas se retrouver en retard.
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Francine Mariani-Ducray, membre du CSA, prend la parole et précise que plus on vit dans un monde déstabilisé, plus on se tourne vers les œuvres. L’économie de notre modèle risque de beaucoup bouger, l’encadrement juridique s’en trouvera lui aussi modifié. Elle explique que les télévisions payantes, hors réseau hertzien, doivent être des acteurs considérés comme des forces.
Francine Mariani-Ducray défend également la francophonie : quels sont les territoires capables d’acheter des programmes en langue française ? La francophonie est une force mais ne doit pas être une œillère.
Elle rappelle que les grands acteurs ne paient pas d’impôts en France et s’interroge sur comment revoir la notion de pays de consommation qui impliquerait un paiement et un financement de la création possible. Tous ces enjeux sont de mieux en mieux perçus.
En ce moment, la discussion porte sur les médias audiovisuels à la demande, tous les acteurs linéaires quelques soit leur financement doivent y participer car il ne faut pas oublier que les deux acteurs majeurs du financement de la création sont la pub (il faut donc s’adresser aux agences) et les finances publiques à travers le service public.
Enfin il est primordial de rester dans l’attitude prospective.
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Philippe Chazal insiste sur deux points :
- L’exportation des programmes, trop souvent absente des préoccupations, avec un repérage des zones à forte croissance ; il serait utile de réfléchir à un secteur où l’exportation serait l’objectif principal.
- Ne doit-on pas tenter la complémentarité entre l’exception culturelle et la notion de filière industrielle : les deux peuvent et doivent cohabiter
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Arnaud Druelle nous présente l’activité du Pôle de Compétitivité du numérique Cap Digital. Il s’agit d’un pôle de compétitivité qui réunit 700 entreprises en majorité des PME et des start up et labellise la recherche.
L’idée est de faire travailler ces acteurs ensemble et de les aider dans la recherche de financement, la labellisation de projets, la levée de fonds et les projets à l’international.
Cap Digital est centré sur le numérique et traite des thèmes des outils de simulation, des technologies mobiles, de la big data et de la robotique entre autres.
Des changements importants dans la gestion des contenus se dessinent. Développer des outils pour mieux gérer les process de post production ou d’asset management. Cap soutient une dynamique d’innovation permanente, une gestion plus fluide des données et de l’organisation. De nouvelles techniques permettent par exemple de pré-visualiser les effets spéciaux au moment du tournage.
La notion d’expérimentation est également centrale, Cap le fait chaque année à l’occasion du Festival Futur en Seine qui s’adresse au grand public et permet ainsi aux entreprises de tester des projets in vivo comme ce sera le cas avec le nouveau studio immersif 360° jusqu’à là inexistant en France. La société ADN a aussi mis au point le projet de double virtuel.
Cap digital soutient aussi les projets de R&D, beaucoup d’enjeux aujourd’hui portent autour des fréquences et de l’encodage.
Arnaud Druelle constate la convergence entre l’état d’esprit télé et l’état d’esprit numérique qui apporte de bons côtés et la démarche itérative qui s’appuie sur les feed back des spectateurs.
Le financement par crowdfounding développé pour le numérique se met peu à peu en place pour la télévision, il commence à être efficace dans certains cas.
Il insiste également sur la notion de design, les interfaces doivent être allégées et intuitives.
2 points majeurs : l’expérimentation et le rôle central de la R&D
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Pascal Josèphe est le dernier à intervenir, il annonce en introduction qu’à défaut d’être la fin du monde, il s’agit toutefois bien de la fin d’un monde dans lequel tous avaient leurs repères, où la programmation était maitrisée, où chaque acteur avait sa place.
Aujourd’hui, on se sent submergé, on a l’impression que la législation serait trop tatillonne avec la télévision et trop laxiste avec internet. Une réalité du monde en transformation pointée par M. Pisani Ferry.
Dans ce contexte, il faut tordre le cou au pessimisme ambiant qui est aussi du fait des médias. Une chose est certaine, le monde en 2023 aura plus changé qu’il n’a évolué depuis dix ans. La révolution numérique porte en elle-même sa propre accélération, c’’est la loi de Moore.
Il faudra être attentif aux nano technologies, aux neurosciences qui vont se combiner. L’enjeu pour les opérateurs sera d’accompagner les humeurs, les états d’âme des consommateurs.
Pascal Josèphe le rappelle, en France la distribution des contenus nous a échappé. La délinéarisation gagne du terrain et les contenus auront changé précisément sous l’effet des nouvelles technologies.
Sur la chaîne de valeurs, les deux extrémités vont monter en puissance :
- La création, d’une part, son importance sera encore plus grande et il va falloir exister dans un univers ultra compétitif et ainsi être performant dans la création à très haute valeur ajoutée se nourrissant des technologies les plus performantes. Contenus enrichis, nouvelle distribution : comment trouver le public. Le marketing sera banalisé et développé en amont à l’adresse du récepteur
- Ceux qui contrôlent la relation client, d’autre part, aujourd’hui le plus gros opérateur client est Amazon, il constitue le modèle le plus avancé. A notre charge de ne pas être inexistants. On ne peut pas travailler que pour le public local ; enjeu majeur de la circulation des contenus.
Dans ce nouvel univers, sera injectée une part de ludification, de gamisation, à tout moment il sera possible de jouer avec des serious game ou pour gagner de l’argent.
Pour réussir ce pari, il y a deux conditions :
- Investir en R&D : condition sinequanon de la survie. Cela signifie investir dans l’écriture, dans les pilotes mais aussi dans les nouvelles technologies, dans ces logiciels capables de produire des contenus à haute valeur ajoutée.
- Développer la formation : il y a un trop grand décalage entre les métiers d’aujourd’hui et les métiers de demain, préparer l’hybridation. Chacun doit se sentir engagé pour fournir un effort colossal de formation que ce soit en formation initiale ou continue.
En conclusion, un monde nouveau dans lequel il faudra trouver sa place ; en amont les créateurs et les producteurs et en aval les distributeurs ont une chance de la trouver ; encore faut-il investir massivement dans la R&D et la formation ; et revoir l’organisation de la circulation du financement ; la dimension industrielle du secteur devrait être davantage prise en compte ;et des dispositifs d’accompagnement à l’exemple de Cap encouragés.
Prochaine séance : et si l’exportation des contenus était placée au centre de nos préoccupations ?