Compte rendu de la session du 26/05/2015
Sur le modèle des sessions précédentes, le Club poursuit son travail de réflexions et de propositions avec des invités extérieurs au secteur audiovisuel. Une ouverture enrichissante pour traiter des questions qui touchent le financement, les politiques sociales ou encore l’innovation.
Aujourd’hui, une table ronde sur : la création et l’immatériel notamment dans l’univers des formats. Dans ce cadre nous recevons Jérôme Julia, le Président de l’Observatoire de l’immatériel.
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Xavier Près prend la parole en premier pour développer la dimension juridique et la question de la protection juridique de ce capital immatériel central que constitue la création originale.
Docteur en droit et avocat à la Cour, il présente les grands principes de la protection des formats. Il rappelle que la propriété intellectuelle est un actif immatériel essentiel.
En précisant que le concept en soi n’est pas protégeable au titre de la propriété intellectuelle. Il faut que ce soit un peu plus développé. Pour donner lieu à la protection, en termes de jurisprudence, au titre du droit d’auteur, deux éléments doivent être réunis : la notion de création et la forme originale. « L’œuvre doit porter l’empreinte de la personnalité de son auteur ». Il doit dépasser le stade de l’idée et prendre une forme spécifique. Cela pointe l’importance de développer en amont la création audiovisuelle et donc les moyens qu’on se donne pour ceci dans la mesure où c’est ce développement qui est protégeable.
« L’idée est de libre parcours, elle n’est pas protégeable en soi »
Un exemple avec Vincent McDoom qui pensait pouvoir protéger le format qu’il incarnait basé sur sa personne. Les juges ont estimé que le document qu’il avait livré n’était pas assez détaillé, il n’y avait pas suffisamment d’éléments caractéristiques reflétant sa personnalité.
On peut avoir des formats pour l’ensemble des œuvres audiovisuelles. Dans ce contexte, la création doit permettre à l’auteur de bénéficier du droit d’auteur sur l’œuvre.
Autre objet de protection : le titre du format.
Au-delà de ces deux types de protection, le format peut également être protégé sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire ou au moyen de clauses de non concurrence. Dans ces cas-là, il s’agit de stratégies certes plutôt défensives. Elles ne donnent pas d’exclusivité et n’incluent pas la notion d’œuvre.
Ajoutons que cette protection doit être particulièrement renforcée quand il s’agit de formats dans la mesure où ce sont des créations qui ont vocation non seulement à être reproductible mais aussi exportable et adaptables.
En complément de l’exposé de Xavier une discussion s’amorce sur la question de la notion de création collective et/ou de création de collaboration à propos notamment des formats qui mobilisent de nombreuses compétences, savoir faire, métiers et collaborateurs.
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Nicolas Mazars de la SCAM nous donne le point de vue des auteurs de ceux qui sont au centre du processus créatif et à ce titre au centre de la création de valeur immatérielle et donc le principal actif immatériel du secteur de l’audiovisuel.
Il constate une tendance au développement des auteurs de formats, même si selon lui on est encore au stade embryonnaire.
Dans le cas d’une fiction, pour déclencher des financements, on rédige une note d’intention, un synopsis. On sait précisément ce qu’on demande à un auteur. Idem pour les documentaires et les séries. Pour les formats et encore plus dans le cas des formats de divertissements, il n’y a pas encore de terminologie arrêtée. On parle de « bible » certes mais c’est un mot « valise ».
Selon Nicolas Mazars, la filière manque de structuration. Pour cela, il faut développer la formation de l’auteur. En ce sens, la SCAM a collaboré à la création du fonds de formation des auteurs qui est récent.
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Jérôme Julia prend la parole en tant que Président de l’Observatoire de l’Immatériel. Une intervention en deux parties, tout d’abord une définition de l’immatériel, puis une présentation de l’Observatoire et de ses actions.
L’immatériel est une notion nouvelle et récente dans les entreprises. L’immatériel signifie en fait la différenciation d’une société, d’une filière, tout ce qui fait qu’elle est incomparable sur le marché. Une entreprise est constituée par une série d’actifs. L’immatériel a la particularité d’être invisible, n’a pas de représentation. L’immatériel est perceptible chez les marques via les logos, les slogans et la notion d’identité de marque. Mais la comptabilité prend très peu en compte ce qui relève de l’immatériel, alors qu’il s’agit d’une véritable source de richesses, souligne Jérôme Julia. Faire en sorte de ne pas passer à côté de cette richesse et des spécificités que l’immatériel incarne est un objectif managérial.
On considère que 80% de la valeur d’une entreprise est immatériels.
Prenons l’exemple de Kodak : en plus de vendre des pellicules, cette société a la valeur de créer du souvenir : un côté magique. Le capital des marques, c’est une série de savoir-faire. Des marques comme Rossignol ou Solex capitalisent sur ces éléments et investissent le filon de la nostalgie. Car l’immatériel a l’avantage d’être extrêmement résiliant. C’est une source d’énergie renouvelable.
Types d’actifs immatériels :
- Actifs humains : « le tour de main de l’artisan »
- Capital organisationnel : les modes d’opération et de gouvernance spécifiques à une entreprise
- Actifs relationnels : ce qui relie l’entreprise à son environnement, l’empreinte environnementale et sociétale
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Jérôme Julia pose la question au panel : « en quoi vous faites votre métier différemment de vos concurrents/partenaires ? ». Il explique que les entreprises qui réussissent sont « idéologiques ». Elles sont en avance de phase avec les attentes des clients.
L’innovation non technologique donc immatérielle, comme celle que le secteur de l’audiovisuel développe est un facteur clé de croissance et de réussite.
En Allemagne, beaucoup d’investissements se sont faits sur l’immatériel : le design, la formation professionnelle, la volonté de délégation, le travail sur la R&D, sur l’écosystème. C’est une manière nouvelle de modéliser l’entreprise, ce qui crée la différence sur la durée.
Parler d’immatériel, c’est aussi revoir l’attachement des collaborateurs à leurs entreprises. C’est parler de la dynamique de management des talents.
Jérôme Julia reviendra plus tard sur le rôle de l’Observatoire de l’Immatériel qu’il préside.
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Nicolas Coppermann est le Président d’Endemol France. Il met l’accent sur la dimension R&D.
Pour lui, la notion de valorisation de l’immatériel, c’est la base du business model d’Endemol. Il y a un investissement important en R&D sur chacun des territoires, des initiatives en phase avec le marché local. Il souligne la difficulté en France de créer de nouveaux formats. Chaque territoire possède ses spécificités, il faut s’adapter.
Les équipes travaillent sur la convergence des besoins des diffuseurs identifiés. Le « time to market » est très important. Pour cette raison, ils tentent le plus vite possible de faire tourner des formats, d’abord en interne, ce qui constitue un lieu privilégié d’échanges d’idées et d’initiatives nouvelles.
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Alexandra Crucq représente le groupe Newen. Elle dirige le développement au sein de ce groupe.
L’immatériel en tant que part active de la valeur d’une entreprise est quelque chose qui se traduit tous les jours via la rencontre et la promotion de nouveaux talents. Il faut les accompagner et aboutir à un format qui se vendra. Cela signifie transcender une idée pour donner envie de la financer.
Aujourd’hui, sur les formats, il a en France encore la difficulté de la sémantique. On ne sait pas trop de quoi on parle. On apprend au fur et à mesure car les métiers sont assez nouveaux et il n’existe pas à ce jour de formation dédiée. On réfléchit à un enjeu, à une promesse, à une thématique. Parier sur la distribution pour vendre les idées à l’international. Co-développer à l’étranger, c’est multiplier les chances en termes de ventes.
Chaque année, le groupe Newen consacre 5% de son chiffre d’affaires à la R&D, un secteur au centre de leur stratégie. C’est une chance de pouvoir financer des « trailers ». Il n’y a pas d’agenda type, le projet peut mettre beaucoup de temps à aboutir, avec l’exemple du jeu Harry en diffusion sur France 3 un an pour le développement et un an pour le mettre à l’antenne. Et parfois l’engouement est plus rapide.
Philippe Chazal note que lorsqu’on parle d’incubation et d’accompagnement de talents comme le fait Alexandra, la question du financement se pose. Cela demande des moyens internes importants. Que la très grande majorité des entreprises du secteur en France, qui sont des PME et des TPE, n’ont pas.
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Lionel Lelouch s’exprime en tant que Directeur du Marketing au nom du Reed Midem. Grand rendez-vous des professionnels du secteur et véritable place de marché en matière de formats. Il y a 2 rendez-vous, en octobre pour les programmes finis et en avril pour les formats et les projets avec une vision tournée vers l’innovation.
Philippe Chazal ajoute que c’est une chance pour la France que d’avoir sur son territoire deux des plus grands marchés audiovisuels dans le monde.
Lionel Lelouch reprend. C’est l’écosystème de la création des contenus audiovisuels : on vient au MIP pour financer ses projets, monter des partenariats. En moyenne 19000 participants dont 57% sont européens avec une forte présence française et de belles success story.
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Emmanuelle Bouilhaguet nous parle de la distribution au nom du groupe Lagardère.
Historiquement, le métier de distributeur était centré sur le matériel avec des produits finis, prêts à être achetés. Aujourd’hui le marché a beaucoup changé, Emmanuelle Bouilhaguet intervient beaucoup plus en amont : au stade de la bible ou du script, c’est à dire lorsqu’il n’y a pas encore d’images. En particulier quand il s’agit de formats. Donc moins de matériel et plus d’immatériel dans la distribution.
Les chiffres 2013 : 140 millions d’euros (avec les préventes et les coproductions) dont 20 millions sur le format. Le genre le plus exporté reste l’animation avec 40 millions d’euros, puis vient le documentaire avec 30 millions d’euros.
Des résultats en lien avec l’activité de Lagardère, centrée sur la fiction, le dessin animée et le documentaire. L’objectif du groupe est de se développer à l’international. Comptabilisant 10% de l’activité (un chiffre en croissance), les recettes de la distribution représentent donc une part non négligeable des résultats du groupe, qui contribue activement en interne au financement de la R&D.
Lagardère c’est 24 sociétés qui échangent et communiquent régulièrement entre elles, précise-t-elle.
Emmanuelle Bouilhaguet explique que toutes les séries se vendent. A titre de comparaison, la Turquie a un chiffre d’affaires à l’export similaire à celui de la France. On est désormais dans un marché mondialisé où beaucoup d’idées circulent. En ce sens, il faut être performant sur le marché local et se vendre à l’international.
Elle regrette que le métier de distributeur ne soit pas reconnu par la loi, malgré un rôle devenu prépondérant et la présence de 140 sociétés de distribution en France.
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Nicolas Mazars revient sur le choc des nouvelles technologies numériques pour les métiers et les compétences notamment chez les auteurs.
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Jérôme Julia en conclusion présente l’Observatoire de l’immatériel. Né en 2007 de la collaboration entre les universitaires, les pouvoirs publics et les consultants d’entreprise, l’Observatoire a pour objectif de faire connaître l’immatériel comme un système très important pour la compétitivité et le développement des entreprises.
3 grandes missions :
- Prise en main des premiers outils pour quantifier l’immatériel
- Travail de recherche et de communication au niveau des adhérents et des partenaires
- Rôle plus fort d’influence sur les politiques publiques
L’Observatoire de l’immatériel est partenaire de la direction générale des entreprises qui finance une action collective pour créer des outils sur la marque et la protection de l’immatériel.
Philippe Chazal reprend la parole pour insister sur le fait que le Club Galilée exprime les mêmes préoccupations à travers le projet de la Fabrique des Formats.
L’écosystème hérité des années 80 pour l’audiovisuel rencontre ses limites aujourd’hui en particulier en termes de capacité de financement. Il n’est pas suffisamment adapté aux défis du marché international. On le constate quand il s’agit de formats tout particulièrement.
Il faut aujourd’hui promouvoir un lien plus fort avec les dispositifs et les politiques économiques et financières générales. Les dossiers du crédit impôt recherche et crédit impôt innovation doivent pouvoir nous mobiliser. De même que la vague des incubateurs.
Etre davantage considéré comme une filière industrielle par les ministères de l’industrie et de l’économie tel doit être notre objectif aujourd’hui.
Xavier Près note que l’Etat lui-même se rend compte du potentiel de son immatériel à travers la valorisation du Musée du Louvre et la création d’une licence de marque.
Pour Nicolas Coppermann, la première étape, c’est de se compter pour avoir une idée précise et objective de ce que représente la filière. Les études sur le poids économique et social du secteur (comme celle réalisée par E&Y et la SACEM sur les industries créatives) constituent de véritables arguments. Il ajoute également que le MIP est un marché de l’option, de la « hype ». De nombreux projets n’aboutissent pas. Faire ce métier, c’est aussi avoir confiance en soi. Nicolas Coppermann pense que les expériences ont prouvé qu’il n’y avait plus de format imparable.
Emmanuelle Bouilhaguet indique que chez TF1, une majorité de fictions en cours sont issues de formats. Ainsi, on voit bien que le format de fiction est un vrai moteur de croissance.
Jérôme Julia conclut en rapprochant l’immatériel du secteur audiovisuel. Il souligne que l’écosystème a été fortement chamboulé par l’arrivée de nouveaux entrants, de nature technologique parfois et extérieurs au secteur. Quelles réponses à ces nouveaux défis ?
Un exemple avec Ubisoft qui crée et vend des jeux vidéos. Face à la concurrence, la société a développé une autre proposition de valeur : l’animation de communautés. De nouveaux savoir-faire à acquérir pour continuer à être performant sur le marché.
Jérôme Julia annonce la tenue de la 6ième journée des actifs immatériels en Juin.
En conclusion le secteur de l’audiovisuel est comme l’a montré la session exemplaire en matière de création de valeur immatérielle : place centrale de la création immatérielle et du capital humain représenté par tous les talents qu’il sait manager.
L’innovation immatérielle est essentielle dans la perspective de développer la valeur immatérielle des entreprises et du secteur. Nous verrons la prochaine fois comment mieux financer cette innovation dans le secteur de l’audiovisuel.