Audiovisuel : filière stratégique - séance du 18/06/2013
Panel :
Mathieu BEJOT - TV France international
Françoise COLAITIS - Cap digital
Gaël LEIBLANG - Elephant Doc
Christophe NOBILEAU - Telfrance
Jean-Yves ROBIN - Calt distribution
Problématique :
Dans le cadre de la réflexion sur les urgences et les priorités de l’audiovisuel, le Club Galilée, après une première séance consacrée à un état des lieux avec les représentants des différentes parties prenantes, se propose aujourd’hui avec un panel « ad hoc » de travailler sur la notion de « filière stratégique » appliquée au secteur de l’audiovisuel.
Il faut rappeler en premier lieu que cette notion de « filière stratégique » a été renforcée à l’occasion de la mise en place des « investissements d’avenir » qui avaient pour objectif, pour mieux sortir de la crise de 2008, de concentrer les investissements possibles grâce au « grand emprunt » dans des secteurs prometteurs en termes d’activité, d’emploi et d’exportation et nécessitant un effort d’investissement renforcé.
Le numérique fit partie des filières. Pas l’audiovisuel. Et le premier concerna le second quand il s’agissait de numériser des contenus préexistants.
Depuis malgré quelques hésitations, la notion d’investissements d’avenir a été reprise. Mais il s’agit comme en 2008 d’industrie et de technologie pour l’essentiel.
Un mouvement s’amorce au Ministère du Redressement Productif pour la prise en compte du non technologique et des services en particulier.
C’est l’occasion de promouvoir la création immatérielle que représente le secteur de l’audiovisuel comme filière stratégique.
L’enjeu est considérable. C’est l’accès moyennant adaptations aux spécificités de l’audiovisuel aux dispositifs généraux du financement de l’économie. Ceux-ci représentent des moyens considérables.
Mais encore faut-il que les acteurs de l’audiovisuel et leurs interlocuteurs se préparent à entrer dans le cadre d’une filière et plus particulièrement d’une filière stratégique.
Quelles conversions demandent une telle entrée ?
Il s’agit en premier lieu de s’intéresser au tissu des entreprises autant sinon plus qu’aux programmes. Et dans ce domaine se poser les questions concernant le renforcement économique du tissu des entreprises.
Avec notamment pour objectif de faire monter en puissance les groupes existants et en promouvoir de nouveaux. Favoriser l’augmentation de la taille afin de définir les conditions d’accès au niveau européen ; et repenser la séparation entre diffuseurs et producteurs ; en définissant les conditions d’un éventuel rapprochement…
Parler de R&D et revoir le périmètre de celle-ci en remettant en cause la distinction entre « flux » et « stock » et en englobant l’ensemble des programmes quelle que soit leur nature.
Préférer parler industrie qu’artisanat à propos de la production audiovisuelle et numérique.
Rééquilibrer la création d’œuvres par la création de programmes reproductibles et adaptables sur les marchés étrangers comme les « formats ».
Considérer l’exportation comme un objectif structurant pour la filière.
Promouvoir autant l’innovation que la création quand on parle d’audiovisuel.
Construire un cadre social de base commun à l’ensemble du secteur et sortir de l’émiettement social actuel.
Mettre en place une politique de formation aux métiers et à leurs évolutions cohérente.
Enfin prendre la perspective de la convergence numérique comme un objectif impératif et non comme un contexte ou une contrainte. En résumé faire le bilan de notre situtation actuelle sans "tabous", s'interroger sur tous les éléments qui ont construit notre secteur depuis les années quatre vingt et voir si la notion de "filière stratégique" n'ouvre pas au secteur del'audiovisuel des perspectives plus adaptées aux défis d'aujourd'hui.
Comptre rendu :
Dans le cadre du festival Futur en Seine, Le Club Galilée s’intéresse aujourd’hui à la notion de « filière stratégique » appliquée au secteur de l’audiovisuel et dans la perspective du conseil national des industries et des services.
Il s’agit là d’un thème central. Et si l’audiovisuel devenait une filière stratégique ?
La séance de ce jour est la deuxième étape d’un travail qui a débuté en avril avec une table ronde où les professionnels ont évoqué les priorités et les urgences du secteur.
La semaine prochaine, le Club se rendra à la Rochelle pour le Sunny Side of the doc et organisera une séance sur le thème des formats documentaires. En juillet, il participera au festival SérieSérie et s’intéressera aux formats de fiction. Ainsi par rapport au projet d’incubateur de formats le Club aura balayé l’ensemble des genres télévisuels.
Quant à la séance de rentrée, elle sera probablement consacrée à: Filière stratégique vs exception culturelle. Voilà deux termes qu’on oppose ;il nous parait nécessaire aujourd’hui de les associer.
La mise en place d’une proposition de filière industrielle et numérique ne peut se faire sans les acteurs du secteur, c’est pourquoi le Club organise le débat aujourd’hui et donne à chaque partie prenante la parole.
Mais pour cela il faut déplacer les points de vue. Encourager la création et la montée en puissance de grands groupes à l’échelle européenne. Renforcer la politique de formation. Donner davantage d’unité au cadre social comme le rappelait lors de la dernière session Christophe Pauly.
Philippe Chazal le rappelle, l’enjeu de la reconnaissance de l’audiovisuel en tant que filière, c’est bien entendu l’accès pour les acteurs audiovisuels à des dispositifs de financement extrêmement puissants tels que le Crédit impôt recherche, crédit impôt innovation et crédit impôt compétitivité.
Pour cela, il donne tout d’abord la parole à Françoise Colaitis, qui représente le pôle de compétitivité Cap Digital, organisateur de l’évènement Futur en Seine.
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Le pôle de compétitivité Cap Digital recouvre beaucoup de domaines. Le but est de créer une dynamique en jouant sur les partenariats et la complémentarité entre les membres, et créer, ainsi, les conditions d’une meilleure compétitivité et d’une meilleure performance. Cap Digital compte 720 adhérents avec une grande majorité de start up, de TPE et 22-23 grands groupes industriels.
Cap Digital offre trois catégories de services :
- L’aide aux membres pour construire des projets collaboratifs de R&D (cela signifie mettre ensemble des acteurs, des académiques, des industriels) ; avec un processus de labellisation
- Le soutien au financement privé auprès d’investisseurs (accompagnement pour une levée de fonds, accompagnement à l’international)
- L’animation de réseaux au travers de groupes de réflexion, de séance de pitchs
Françoise Colaitis reprend les termes de la séance et s’interroge sur la notion de filière stratégique.
Tout d’abord pourquoi stratégique ? Il y a à cela plusieurs raisons selon Cap Digital. Premièrement, le poids économique du secteur est très important. Il possède également une capacité à essaimer dans d’autres secteurs. En effet les contenus fictionnels peuvent se déployer sur plusieurs réseaux. Enfin, le secteur image et son est considéré dans le contexte de l’ensemble des autres industries créatrices, comme un secteur à vocation globale.
Ensuite pourquoi une filière ? Françoise Colaitis rappelle que le secteur souffre d’un émiettement chronique. La fragmentation du tissu industriel est très importante. Penser en termes de filière permettrait de le structurer davantage. Il faut de plus bien prendre toute la mesure de l’impact de la révolution numérique qui a conduit à des changements techniques et culturels.
Françoise Colaitis propose de s’inspirer du modèle de financement des start up et effectuer un mélange des cultures, c'est-à-dire que les modèles du numérique et de l’audiovisuel parviennent à s’hybrider.
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Jean-Yves Robin prend ensuite la parole au nom du groupe Robin & Co qu’il préside. Il explique que la stratégie du groupe s’est faite autour du contenu. Les talents constituent la colonne vertébrale autour de laquelle ont été mis au point des métiers donnant lieu pour chacun à une filiale afin de mieux servir ces mêmes talents.
Robin & Co possède plusieurs filiales : entre autres une filiale de production Calt Productions, une filiale de distribution Calt distribution, une filiale spécialisée dans le digital.
Calt a produit Caméra Café, un format qui s’est vendu dans 65 pays. Depuis 7 ans, le groupe organise le festival Humour En Capitale, qui permet de faire un état des lieux de la comédie et repérer ainsi quels seront les talents de demain.
Jean-Yves Robin le rappelle : l’objectif est de répondre aux envies des talents. Il prend l’exemple de Kev Adams qui a été repéré au festival HEC, puis il y a eu un one man show, puis la série SODA, dont le format se vend dans 30 pays. On voit bien qu’avec la matière première que constitue le talent : les projets possibles sont multiples.
Les programmes possèdent également des dérivés numériques financés par les annonceurs. Le second écran doit être synchronisé avec la diffusion TV et apporter un vrai plus.
Dans ce nouvel univers, deux stratégies se développent en parallèle, l’hertzien et le web, il s’agit de deux écritures complémentaires qui marchent ensemble et se répondent.
Le Président de Robin & Co explique qu’il est important de se diversifier un maximum et d’essayer de capter les divers financements possibles car aujourd’hui le financement d’un projet audiovisuel par le diffuseur seul n’est quasiment plus possible, voilà pourquoi explorer d’autres piste est nécessaire. Pour lui, l’enjeu actuel en termes éditorial et financier, c’est le transmédia.
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Christophe Nobileau intervient au nom du groupe Telfrance, groupe qu’il dirige. Il évoque en premier lieu la R&D comme élément clé de la stratégie, cela représente 10% du chiffre d’affaires du groupe. Talent et innovation sont les fondements du secteur.
Face à la crise, deux solutions possibles. La première serait d’adopter une position de repli en jouant la sécurité. La seconde, c’est bien entendu l’innovation ce qui constitue une prise de risque. Un danger utile et indispensable selon Christophe Nobileau.
Il retient aussi de son passage dans le groupe LVMH, la notion de filière et la formidable capacité du groupe à innover et à exporter les créations. Deux aspects qui lui semblent possible de reproduire dans le secteur audiovisuel.
Selon lui, il n’y a aucune raison pour que le secteur ne devienne pas significatif. Le marché national ne suffit plus. Il faut développer d’autres solutions comme le brand content ou l’ouverture à international.
En deux ans, la filiale de distribution du groupe Newen a développé cinq formats produits à l’étranger. Des alliances entre des partenaires européens ont été créées. Le groupe Telfrance qui appartient lui-même à Newen Network a mis au point des partenariats avec d’autres acteurs majeurs de la production à l’échelle européenne. Une stratégie qui permet de réunir des fonds plus importants et d’assurer une vie au programme en dehors de l’hexagone.
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Gaël Leiblang vient nous présenter le dernier documentaire qu’il a produit avec Elephant Doc pour Arte, il s’agit de Futur avec Starck.
Un programme qui a déployé un véritable dispositif 360 puisqu’un site web dédié a été mis en place et des pastilles en bas de l’écran de TV permettaient de synchroniser la diffusion hertzienne avec des contenus additionnels numériques. L’idée était de prolonger l’expérience.
Philippe Starck a rencontré onze personnalités qui lui racontent le futur du monde. Le site du programme permettait d’offrir au téléspectateur un contenu augmenté avec par exemple les biographies des personnes interviewées, des phrases prêtes à tweeter, des cartes, des vidéos... Le jour de la diffusion, le second écran était silencieux afin d’accompagner au mieux la diffusion sans la parasiter. Sur le web, deux heures de vidéos disponibles en accès libre.
Ce dispositif a eu de réelles conséquences sur le tournage car il fallait anticiper assez tôt les éléments qui seraient nécessaires pour le site internet, la matière requise pour le web. Le soir de la diffusion, l’hashtag « #starck » était le troisième plus cité sur twitter. Une stratégie qui a séduit les téléspectateurs.
Elephant Doc a également prévu une version 52’ pour l’international. En effet, la stratégie d’exportation a été anticipée assez tôt dans le projet. Par contre il n’était pas possible de proposer également un site dédié car cela aurait nécessité un site propre pour chaque diffusion à l’étranger.
3 mois d’écriture et 3 mois de fabrication, voilà le temps nécessaire pour mettre au point ce documentaire au dispositif 360. Une hybridation forte des contenus TV et numériques, ce qui n’a pourtant pas attiré la participation des pure players qui n’ont pas aidé au financement du projet.
A chaque étape, il a fallu se demander quelles pourraient être les extensions web, rappelle Gaël Leiblang. Ce dispositif a véritablement influencé et accompagné l’écriture. Lors de la diffusion du programme il a aussi permis d’alléger le commentaire car toutes les informations étaient accessibles sur le site internet dédié.
Avec Futur avec Starck, nous avons vu un exemple de documentaire qui se déploie sur plusieurs supports et dont les contenus sont multiples. Dans ce cas, le hertzien et le numérique sont complémentaires, ils se complètent et se répondent.
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Mathieu Béjot est délégué général de TV France International qui regroupe 150 sociétés membres diverses par la taille et le type de production.
L’exportation est un enjeu de développement essentiel. Mathieu Béjot rappelle que la fiction s’exporte bien car il faut remplir des grilles. Le nombre d’heures en France avec le câble, le satellite et la TNT s’est multiplié alors que la production a seulement augmenté de 10%.
Parlons du Cinéma. Il y a 600 millions d’euros d’épargne forcée des diffuseurs vers le cinéma. Pour Mathieu Béjot, on est face à un choix politique qui est de faire de la France une patrie du cinéma.
Il s’interroge cependant sur le modèle de production en France. Pourquoi ne pas soutenir des projets qui s’exportent ? Pourquoi ne pas investir ce qui rapportera de l’argent ensuite ? Selon lui, les termes d’exception culturelle et d’industrie ne sont pas incompatibles et au vu de la situation actuelle, il devient urgent de prendre conscience que l’international devient l’élément clé pour développer l’activité en Cinéma comme dans l’audiovisuel.
Mathieu Béjot évoque également ce que Jérôme Caza annonçait dans la séance précédente à savoir la disparition préoccupante de la production du milieu.
Le secteur tend vers une bipolarisation, des productions très chères et très qualitatives d’un côté et des projets low cost de l’autre. Il rappelle que George Lucas et Steven Spielberg ont récemment prédit une explosion du cinéma pour ces mêmes raisons.
Les diffuseurs souhaitent aujourd’hui acheter du volume. La vente au détail devient compliquée même si elle reste possible pour certaines productions ciblées. Face à cette demande, il serait possible de proposer des packages avec plusieurs programmes.
Il précise qu’il manque aujourd’hui des grands groupes capables de tirer la machine. Le secteur a également besoin d’être structuré. Mais cela doit passer par une prise de conscience.
On pense encore trop souvent en France que les industries culturelles ne doivent pas être exportées. Cela passe par des festivals, du non commercial. Cette dynamique pourrait créer une vraie énergie positive, créer de l’emploi et de la richesse.
TV France International a le projet de créer une plateforme numérique allégée et référencer ainsi tous les supports partenaires en B2B. Cela pose des questions de référencement. Le numérique commence à peser lourd dans l’exportation même si le modèle de la gratuité semble plus ou moins établi. Il faut trouver des solutions intelligentes pour que les programmes circulent. Le but de cette plateforme, c’est de créer un IMDB à la française. Mathieu Béjot cite : « l’ubiquité, c’est la nouvelle exclusivité ».
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Christophe Nobileau ajoute qu’il faut avoir des champions capables de porter à l’étranger la créativité et la diversité française.
En fin de séance, on souligne la question du droit d’auteur qui reste un handicap important pour l’exportation car il pèse sur la marge commerciale du distributeur, cela rend notamment difficile le package de plusieurs contenus.
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Finalement, comment prendre en compte les objectifs commerciaux ? C’est-à-dire comment faire en sorte qu’il y ait une ambition sur le marché international ? Et comment l’inciter ? Voilà aujourd’hui l’enjeu de la France. L’Angleterre avec la BBC ou Israël devenu en peu de temps véritable créateur de nouveaux formats innovants montrent la voie.
Cette séance a montré les avantages que pourrait représenter la prise en compte du secteur en tant que filière industrielle. Une évolution qui induit plusieurs changements tels que la constitution de grands groupes ou le développement stratégique à l’international. Tous les intervenants l’ont énoncé clairement : la situation de crise que nous connaissons actuellement change les règles du jeu. Pour s’en sortir, il faut innover, investir davantage en R&D, prendre des risques, chercher des financements ailleurs, voir plus grand que le marché français.
Les producteurs doivent parvenir à se libérer des seuls diffuseurs nationaux. Cela est possible par la recherche de nouveaux financements, de nouvelles stratégies, de nouveaux partenariats. Sur ce point, le secteur a besoin d’une stratégie collective.