Compte rendu de la session du 21/11/2011
Une nouvelle séance du Club consacrée aux modèles économiques des médias dans une double approche macroéconomique et microéconomique.
La séance débute par un rappel par Philippe Chazal des prochaines séances du Club. A savoir en décembre une séance sur l’évaluation des politiques publiques dans le secteur de l’audiovisuel et du numérique et en janvier probablement une séance sur la télévision connectée rassemblant des expériences de contenus.
La table ronde d’aujourd‘hui consacrée aux modèles économiques des médias. Elle sera l’occasion de développer comme l’indique le dossier de préparation une approche microéconomique, macroéconomique et au niveau de la société dans son ensemble.
Le club montra à l’occasion de cette séance sa réactivité en invitant les représentants des organismes qui font l’actualité des derniers jours en matière d’études comme l’INSEE, l’étude que vient de sortir Havas Media et le rapport présenté au forum d’Avignon par le cabinet Ernst&Young.
Dominique Delport prend la parole en premier pour nous présenter la dernière étude réalisée par Havas Media en partenariat avec NPA Conseil sur l’avenir de la TNT.
Dans huit jours, la télévision sera numérique sur la totalité du territoire français. La TNT gratuite est un succès dès maintenant. Beaucoup au départ étaient hostiles à cette évolution. Le paysage a mis du temps à se stabiliser.
Le CSA a lancé un appel d’offre pour six nouvelles chaînes. Plusieurs possibilités. Certaines chaînes actuelles souhaiteraient être upgrader, c’est-à-dire passer en HD. La possibilité d’avoir de nouvelles chaînes généralistes est envisagée mais rien n’est encore définitif.
Au sujet de ces six nouvelles chaînes, il existe plusieurs scénarios : une première solution serait d’avoir trois chaînes généralistes et trois thématiques, la seconde solution de proposer des mini-généralistes avec deux chaînes en HD, une troisième hypothèse serait d’avoir un mélange entre chaînes gratuites et chaînes payantes.
Dominique Delport souligne ainsi que la TNT évolue très favorablement et que son avenir intéresse beaucoup d’acteurs du secteur. Il pose la question de la TNT payante et de ses perspectives d’évolution. De nouveaux services tels que la SVOD ont vu le jour, se démultiplient et pourraient monter en TNT.
Le PDG d’Havas MEDIA attire l’attention du club sur l’évolution du modèle publicitaire modifié par la croissance de la TNT. Le marché publicitaire est en fait en France peu élastique. Une offre nouvelle de chaîne pourrait engendrer un risque supplémentaire de déflation sur le marché de l’audiovisuel. Pour ces raisons, il faut s’interroger sur quel peut-être l’intérêt pour les annonceurs. Le marché publicitaire est très stable depuis des années, il dépend principalement de la situation macroéconomique du pays, il est, en d’autres termes, un indicateur du PIB.
Selon Dominique Delport, un assouplissement des contraintes réglementaires est nécessaire afin d’accompagner le changement du marché publicitaire suite à la croissance de la TNT et de contrer la déflation dans le secteur audiovisuel A la croissance de la TNT de contrer la déflation dans le secteur audiovisuel. Il s’agit d’éviter la fuite accélérée de la pub vers internet, secteur bien moins réglementé que celui de la télévision. Ce qui implique par exemple d’ouvrir davantage la télévision à la grande distribution mais aussi de s’interroger sur les secteurs interdits tel que le cinéma, aujourd’hui encore très protégé.
Dominique Delport nous avertit : sans ce type de changement, le coût GRP va baisser, ce qui n’est profitable pour personne. En conséquence, il faut être cohérent et permettre l’entrée de nouveaux acteurs avec l’évolution du système. Si nous restons dans le même contexte, la baisse est programmée.
Voici donc une exploration du modèle économique de la publicité en pleine mutation avec le danger de la déflation qui le menace. *
Gérald-Brice Viret parle au nom du groupe NRJ et des diffuseurs TNT.
Il s’agit de développer une approche microéconomique d’un diffuseur et une approche par filière : quels sont les modèles économiques du premier et de la seconde ?
En guise d’introduction, il annonce que quasiment toutes les chaînes de la TNT sont à l’équilibre ou presque. Celles qui font partie d’un grand groupe ont bénéficié de l’économie d’échelle.
La nouvelle étape de la TNT qui s’ouvre est soumise au rôle déterminant du CSA qui influe sur l’éditorial et l’audiovisuel. La disposition des chaînes bonus, dont le Club Galilée s’était fait l’écho au printemps dernier, sera finalement annulée. Le CSA a lancé un appel à candidature. Les chaînes qui diffusent en SD veulent passer en HD ce qui représente un coût de 12 millions d’euros par chaîne sans que cela ne lui rapporte rien.
Dans le paysage de la TNT aujourd’hui, il y a seulement deux seuls indépendants BFM et NRJ.
Dans ce contexte, NRJ a plusieurs projets, par exemples une chaîne Nostalgie HD et Chérie HD pour un coût d’environ 35-40 millions d’euros.
L’appel à candidature du CSA peut aussi permettre l’arrivée de nouveaux entrants tels que L’équipe ou Lagardère avec leur proposition de chaîne féminine.
Gérald-Brice Viret rappelle qu’il est important de faire attention A la manière dont les nouvelles chaînes seront mises au point pour ne pas conduire à une dévaluation du point d’audience. Il commente, de plus, le passage sur la TNT de certaines chaînes et remarque que les groupes actuels sont allés sur la TNT sans grande conviction. Il juge anormal que NRJ 12 produise la première fiction et Direct 8 soit le premier à faire du prime time. Selon lui, TF1 et M6 devraient utiliser leurs chaînes de la TNT pour innover, repenser la production afin d’être mieux armées demain pour la télévision connectée. Sur ce sujet, Gérald-Brice Viret a le sentiment qu’il faut développer des marques fortes, primordial dans un univers délinéarisé. Il pense, en outre, que ce nouvel univers devrait conduire à UNE plus grande valeur du direct, ce qui est positif pour le téléspectateur.
Pour conclure, Gérald-Brice Viret se montre optimiste quant à l’avenir de la télévision et il propose que les chaînes qui seront diffusées en HD prennent par la même occasion des engagements en matière de production.
Régis Houriez fait ensuite une présentation du Forum de la Culture à Avignon auquel il a participé et il nous présente les résultats de l’étude menée par le cabinet Ernst&Young qui compare les politiques fiscales à travers le monde dans le secteur de la culture.
On constate dans celui-ci un grand nombre d’incitations fiscales accordées par l’Etat. L’étude recense 350 mesures fiscales différentes, la France arrive largement numéro 1 dans ce domaine avec 50 incitations fiscales. Le cinéma reste le secteur le plus aidé. Les entreprises média notamment la presse et l’édition bénéficient également d’allègements de charges.
L’objectif affiché est de développer l’accès à la culture et d’aider les acteurs du secteur mais ces mesures provoquent aussi des situations d’inégalité devant impôt. Le mécénat joue un grand rôle, il est fondamental dans le domaine culturel. Aux Etats-Unis le financement de la culture est faible au niveau fédéral, il repose donc essentiellement sur des dons privés.
La grande question actuellement est de savoir quelle fiscalité sera appliquée au numérique c’est-à-dire comment appréhender les revenus générés par les opérateurs d’internet en matière d’impôt. Un des problèmes constatés aujourd’hui est la très faible présence en France de certains acteurs majeurs du net. Selon les pays, les règles de territorialité ne sont pas les mêmes, les impôts ne s’appliquent PAS de manière identique et cela conduit à des distorsions de concurrence extrêmement importantes.
Ce rapport très important pour la compréhension de notre secteur et des politiques publiques, qui nous permet de mieux comprendre à la fois du côté des recettes et des dépenses le modèle économique public, sera disponible sur le site du club.
Il ouvre aussi la voie de l’évaluation des politiques publiques qui sera le thème de la prochaine séance du club.
Frédéric Bokobza de la DGMIC et du ministère de la culture et la communication, nous apporte ensuite une réflexion sur les produits ou les revenus avec un éclairage sur la redevance et la publicité.
Une intervention qui entre en résonnance avec l’actualité car France Télévisions va signer le nouveau contrat d’objectifs et de moyens. La situation actuelle contraint à un effort commun de manière transversale sur les finances publiques.
Le financement de l’audiovisuel public joue le rôle d’un amortisseur de la crise. Nous avons constaté que la publicité est un marché très mature comme l’annonçait Dominique Delport. Frédéric Bokobza souligne que la France est le pays où l’on dispose le moins de chaînes gratuites.
Il s’interroge sur comment adapter le modèle de l’écosystème à la donne numérique. La modification de lieu de TVA pour les hébergeurs ne sera possible qu’en 2015 car elle est soumise à beaucoup de négociations et il est nécessaire d’avoir l’unanimité des Etats.
On peut ainsi en conclure que le modèle économique de la publicité est stable mais déflationniste. D’autre part, la publicité peut également servir comme instrument anticrise.
Enfin, dans le cadre de la politique publique, il faut rappeler le rôle, dans une démarche similaire, des investissements d’avenir et du grand emprunt qui s’appliquent aussi aux secteurs du numérique et de l’audiovisuel.
Nicolas Gaudemet prend la parole au nom du groupe Orange.
Il fait la transition en rappelant que les fournisseurs d’accès à internet (FAI) contribuent massivement au financement du CNC alors qu’ils sont, à priori, les plus éloignés de ce secteur. S’ajoute à cela la taxe pour aider France Télévisions suite à l’arrêt de la publicité après 20h. Il résume la situation en disant que les FAI sont 25% plus taxés que les autres acteurs en France.
Les activités d’Orange dans les contenus sont diverses avec un ancrage dans le monde de la pub online, Orange est aussi leader sur le display, un secteur dans lequel les conséquences de la crise se ressentent fortement.
Orange a un développement qui repose sur le modèle économique de l’abonnement mais aussi du paiement à l’acte à travers la VOD et les jeux vidéos. Nicolas Gaudemet précise que le modèle possède plusieurs couches avec les offres d’abonnement (qui contiennent plus ou moins d’options). Orange possède aujourd’hui un parc de deux millions de foyers en nombre d’abonnements et une croissance de 10% par rapport à l’an passé.
Les télécom représentent aujourd’hui 2% dans les postes de dépenses pour les foyers français. On constate que la crise n’a pas d’effets directs dans ce domaine.
Jérôme Caza prend la parole au nom du secteur de la production et présente le paysage contrasté de la production en France.
Les sociétés de production se remettent difficilement en effet de la crise et de la baisse des investissements dans la profession. 80% du financement de la création audiovisuelle provient des chaînes publiques. Ainsi on se mobilise afin que les chaînes publiques aient les moyens de financer la création.
Avec la télévision connectée se dessine une remise en cause du système et Jérôme Caza pense que, dans ce contexte, il est indispensable de faire évoluer les règlementations. A ce jour, la seule solution pour obtenir des financements est de renforcer les obligations d’investissement des diffuseurs dans la production. Il note également qu’il faudrait empêcher la mutualisation des obligations (entre les chaînes d’un même groupe).
Jérôme Caza nous ouvre à titre d’exemple les portes de son entreprise pour montrer la fragilité économique de celle-ci et l’accentuation de cette fragilité.
Jérôme Caza prend ensuite l’exemple d’un documentaire et nous présente son plan de financement. Pour le financement du projet, 100 000 euros ont du être obtenus à l’international, avec un émiettement extrême de ces interventions.
Cela montre la fragilité du modèle économique. Les producteurs sont en conséquence confrontés à des difficultés grandissantes pour réunir les sommes nécessaires et pour vendre leurs productions à l’étranger. Les documentaires qui contiennent beaucoup d’archives ne sont pas exportables, de plus la demande de sujets éditoriaux porte essentiellement sur des thèmes franco-français.
La situation actuelle pousse à faire de la télévision moins chère, à réduire les marges et les coûts de production. Jérôme Caza conteste également le fait que le crédit d’impôt soit calé sur le modèle de la fiction ce qui implique pour les producteurs de documentaires de dépenser beaucoup d’argent pour obtenir des aides, il propose logiquement un abaissement de ce taux.
En conclusion, Jérôme Caza pense qu’il faut renforcer les entreprises indépendantes, faire en sorte que les acteurs français se battent à armes égales. Le but est d’arriver à un système plus rationnel pas uniquement basé sur la taxation des fournisseurs d’accès à internet.
La séance s’achève sur une intervention de Mathilde Clément qui nous présente la dernière étude de l’INSEE, « France, portrait social » et replace toute la discussion dans un champ d’analyse plus large.
L’étude est mise à jour chaque année et, en 2011, l’INSEE a mis l’accent sur la jeunesse sur entre autres les conditions de logement, la situation face à l’emploi. L’étude consacre aussi un chapitre aux politiques d’emploi en faveur des jeunes. Trois types de politiques ont été recensés :
• proposer à l’employeur une exonération de charges pour l’embauche de jeunes
• améliorer la qualification
• favoriser l’apprentissage et l’alternance
Les politiques qui donnent des résultats sont majoritairement celles qui allient emploi et formation car elles favorisent une meilleure insertion.
D’autre part, l’INSEE étudie la consommation de cultures et loisirs à travers deux angles d’analyse : les dépenses de consommation des ménages et les activités culturelles et de loisirs.
Le focus apporté cette année à la jeunesse permet de souligner l’importance de la formation et l’avantage de recruter de jeunes générations qui porteront sur le secteur un regard nouveau.
Ainsi, en conclusion une séance très variée sur les modèles économiques, celui de la publicité et de l’abonnement.
Une politique publique très présente à travers le service public, les aides et la fiscalité, on peut s’interroger aujourd’hui sur la nécéssaire adaptation de celle-ci.
Des entreprises aux destins contrastée enfin des diffuseurs qui a travers le TNT trouvent leurs voies.
Mais des producteurs très fragiles notamment face à la concurrence européenne et internationale, alors qu’ils constituent le cœur de la valeur du secteur audiovisuel et numérique.