Compte rendu de la séance du 18/11/2013
Panel :
Pierre-Antoine Capton - 3ème Oeil Production
Perrine Lefebvre - TF1
Gildas le Roux - La Compagnie des Indes
Christophe Nick - Yami 2
Matthieu Viala - MakingProd
Problématique :
Le Club Galilée poursuit son travail d’inventaire et de réflexions sur l’ « Etat de l’Art » en matière de création audiovisuelle et numérique.
C’est même une de ses spécificités que de faire régulièrement ce bilan de la création. Avec les parties prenantes à cette création. A savoir avec les auteurs, les producteurs et les diffuseurs audiovisuels et numériques.
La rentrée télévisuelle française de septembre 2013 a été marquée par plusieurs nouveautés.
Rappelons que cette rentrée se déroule dans le cadre d’une croissance en panne. Des tensions sociales qui montent. Et un moral en berne.
Globalement on peut constater que le déploiement sur les différents écrans, continue à se développer. Les réseaux sociaux sont de plus en plus sollicités et avec succès quand il s’agit de divertissements de première partie de soirée.
Des diffuseurs privés qui s’accrochent. Un service public décevant. Une TNT qui parie d’abord sur les achats et les rendez-vous de divertissement. Et des chaînes thématiques qui ont du mal à s’extraire du paysage.
Au-delà de ces considérations générales, concentrons-nous sur quelques événements qui ont caractérisé cette rentrée. Avec pour chacun des invités pour témoigner de l’ « intérieur ».
La bataille de l’accès. Avec des gagnants et des perdants. Un renouvellement d’animateurs pour Canal et France 5 au sein d’une mécanique rodée. Arte qui consolide son 28. Et D8 a repris sa course.
La bataille concerne de plus en plus le pré-accès. Le « Before » sur Canal. Et les difficultés du rendez-vous de France 2.
Pour témoigner le producteur de « C à vous » qui devient de plus en plus un rendez-vous d’infotainment.
Bien entendu cette rentrée est caractérisée par la place de plus en plus importante dans la programmation télévisuelle des séries de fiction. Achetées ou coproduites. Américaines, européennes et françaises.
Un producteur de série de fiction témoigne.
Les programmes courts se multiplient. C’est le lieu d’éclosion privilégié des nouvelles écritures et des nouveaux talents (Auteurs et producteurs). Ecoutons l’un d’entre eux.
Dans le domaine du documentaire, la montée en puissance du documentaire d’investigation nous parait être une des évolutions marquantes de cette rentrée. On en trouve sur Arte, Canal, France 2, France 3…
Précisons que cette mutation positive, qui prend des formes variées, ne peut masquer les difficultés éditoriales et financières que rencontre l’univers du documentaire.
N’oublions pas aussi à la confluence d’une démarche documentaire et de l’écriture de fiction : la « scripted reality ».
Enfin pointons après les points positifs, les manques de cette rentrée télévisuelle. Ils sont nombreux. Le débat les fera apparaître.
Soulignons-en au moins un qui nous parait particulièrement criant. Celui des spectacles vivants. Il semble que le théâtre, la danse, l’opéra et la musique hors rock ont disparu de nos écrans. Est-ce la réalité ? Un producteur témoigne.
Cet « Etat de l’Art » n’est bien entendu pas complet. Mais il donne un coup de projeteur avec les trois mois de recul nécessaire sur quelques « aspérités » de cette rentrée télévisuelle 2013. Chacun, auteur, producteur et diffuseur est invité à la compléter.
Compte rendu :
La session du Club Galilée débute avec un rappel de la prochaine séance organisée dans le cadre d’un groupe de travail avec le CSA sur la question de l’obésité et des programmes de sensibilisation sur ce sujet. Le Club se joint à la réflexion et proposera une table ronde le lundi 2 décembre en présence de Christine Kelly.
Philippe Chazal rappelle aussi le pilotage par le Club Galilée de la préparation de l’incubateur dédié aux formats. Il indique que la « brique » formation est déjà engagée ; celle du « think tank » sera lancée en janvier ; la question qui se pose est celle des sources de financement de la R&D. Plusieurs pistes sont à l’étude, un fonds d’investissement, le crowdfounding notamment. Il souhaite positionner l’incubateur entre le CNC et Cap digital.
La séance de ce jour est consacrée aux nouveautés de la rentrée télévisuelle. Qu’est ce qui l’a caractérisée ? Quel sont les manques ? Chaque intervenant propose un retour d’expérience et nous dit ce qu’il a remarqué dans cette rentrée. Nous revenons sur les évènements saillants de cette rentrée.
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Pierre-Antoine Capton prend la parole en premier sur la bataille de l’Access.Il est le dirigeant de la société Troisième Œil Production. Il explique que, sur l’access, producteurs et diffuseurs possèdent une grande visibilité, la grille est mise en place dès le mois de juin. Une case qui représente seulement 20% de l’audience à se partager puisque le leader à cet horaire reste TF1 avec les jeux. La bataille qui se joue serait donc avant tout une bataille de la communication essentiellement liée aux images des chaînes. Un combat que mènent aussi les petites chaînes pour se rendre plus visibles.
Globalement pour l’access tout le monde est gagnant et il reste de la place pour les petites chaînes, annonce Pierre-Antoine Capton. Il insiste surtout sur le fait qu’il est aujourd’hui difficile d‘installer de nouvelles marques. TMC avec l’émission de Courbet et D8 avec Touche pas à mon poste réussissent à trouver un public car les concepts de ces émissions ne sont pas totalement inconnus du public. En effet le programme de Julien Courbet a déjà pris ses marques en radio et l’émission de Cyril Hanouna a eu le temps de se roder sur France 4 avant d’arriver sur D8 et de faire de bonnes audiences.
Pierre-Antoine Capton ajoute que la grande leçon de cette rentrée est que les nouvelles marques peinent à trouver leur place à une heure où toute la famille se partage la télécommande.
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Philippe Chazal ajoute que pour l’acces en quotidien il faut être capable en production de créer la surprise permanente. Ce qui est le cas de C à vous et du Grand Journal.
Pierre-Antoine Capton explique que la mission de France 5 est avant tout d’informer et de décrypter. En ce sens, l’objectif de C à vous est d‘avoir les meilleurs invités possibles par rapport à l’actualité notamment. Il ajoute que le côté happening, s’il a eu lieu dans C à vous, marche davantage sur les chaînes jeunes.
C à vous veut contribuer à faire progresser l’audience de la chaîne en recherchant la continuité d’antenne autour de 19H00 avec une rythmique du conducteur. L’émission propose de l’info, de la musique live, ce sont là ses vrais objectifs éditoriaux.
L’actualité de la rentrée qui a beaucoup été relayée dans les médias concerne bien sûr le changement d’animateurs au Grand Journal et à la tête de C à vous.
L’émission de France 5 a connu une progression de 5% de PDA, ce qui prouve selon Pierre-Antoine Capton que ce sont bien les marques les vecteurs de succès des émissions. L’important semble donc de créer des marques et de faire en sorte qu’elles s’installent ce qui nécessite du temps.
Philippe Chazal ajoute que France 5 et Arte partageaient il y a quelques années le même réseau. Lorsque France 5 a eu son propre canal, il lui a fallu devenir une télévision du soir tout en restant une télévision de journée (et inversement pour Arte).
Jérôme Caza souligne que les débuts de C à vous furent compliqués. L’émission a commencé à seulement 80 000 téléspectateurs.
Pierre-Antoine Capton souligne que le pression médiatique sur cet horaire est assez violente et que la presse a besoin d’être alimentée en permanence. A l’inverse une émission comme Les carnets de Julie diffusée le samedi en journée et leader sur sa case intéresse peu les médias, car l’enjeu est moindre.
Matthieu Viala s’interroge sur l’existence de signaux qui témoigneraient du potentiel d’une émission, des éléments que les diffuseurs doivent pouvoir analyser.
Pierre-Antoine Capton ajoute que lorsque une émission est mal née, il est difficile de la rattraper.
Jérôme Caza prend sur ce point le contre-exemple de l’émission Midi en France qui a très mal démarré puis progressé jusqu’à atteindre aujourd’hui l’audience moyenne de la chaîne.
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Perrine Lefebvre explique qu’à TF1, l’access reste un enjeu essentiel ; quand on constate à cet horaire un effritement de l’audience, la réaction est immédaite ; on ne peut pas se permettre à TF1 d’attendre que l’audience monte. TF1 raisonne aussi beaucoup en termes de marque avec des jeux et des visages à l’antenne très installés. Perrine Lefebvre est catégorique : on ne lancera jamais une nouveauté à cette heure là car cela représente un risque trop important. Tant que les programmes fonctionnent, la chaîne privée ne cherche pas à les changer.
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Gilles Bruno pose une question à Pierre-Antoine Capton sur le second écran et l’appli C à vous, une appli très graphique à la différence de celles des autres programmes de la chaîne, qui a été arrêtée.
Le producteur de l’émission explique qu’elle est en train d’être modifiée. Il semblait que l’appli n’était pas en adéquation avec la cible du programme, les 60 ans et +. Ils se sont interrogés en ces termes : quels usagers du second écran ont-ils ?
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Christophe Nick ouvre le volet documentaire de cette session et nous parle du documentaire la France en face qu’il a produit pour France 3.
Il raconte que c’est un film atypique dont l’idée était de changer l’approche de la société que les documentaires abordent d’habitude à travers le regard d’historiens ou de sociologues. Ce documentaire a pris appui sur l’étude d’un géographe (« la nouvelle fracture sociale ») qui tend à prouver que notre représentation de la France est fausse. Il y a en réalité une France de métropoles qui représente 80% du PIB national et tout le reste du territoire (60% des Français) qui produit seulement 20% du PIB français. Deux France donc ; celle des métropoles qui est en phase avec la mondialisation ; et l’autre qui est plutôt la victime de la mondialisation. Le phénomène le plus marquant des dernières années est l’expulsion massive des classes populaires des grandes métropoles et la « gendrification » de celles ci. Le regard sur les banlieues doit changer ;le documentaire y contribue ;ainsi la Seine Saint Denis change 65% de sa population tous les 8 ans.
L’idée de ce documentaire est de faire un vrai film dans lequel on illustre ces chiffres sur le terrain au près des invisibles. Christophe Nick dénonce les médias qui sont trop souvent sur la mise en scène de la peur, la peur de l’autre.
Son autre documentaire « La génération quoi » s’adressait aux jeunes générations, pourtant les études montrent qu’il a été vu majoritairement par les élites, il a aussi fait l’objet d’une presse très positive avec une double page dans Libération et un soutien de Thomas Legrand sur France Inter.
Christophe Nick pose ce paradoxe à savoir que les programmes ne sont pas regardés par ceux dont ils font l’objet.
Pour ce documentaire sur les jeunes, le choix s’est porté sur une écriture trans-média avec un site dédié et des questions. Ce dispositif a rencontré un grand succès avec une réelle implication de la part des internautes (long temps de visionnage : 25 minutes) ainsi qu’un puissant effet viral alors même que l’audience télé du documentaire fut désastreuse.
Christophe Nick en déduit que la vraie problématique du net est celle-ci : ce sont les personnes qui font eux-mêmes leurs programmation.
Il insiste sur le fait que la société d’aujourd’hui est coincée. La jeune génération – la plus éduquée que la France n’ait jamais connue selon lui – subit de plein fouet le déclassement. Au regard des réponses aux questionnaires, on observe que 71% des jeunes affirment que la faute revient aux générations précédentes et 80% se disent prêts à s’engager dans un mouvement révolutionnaire majeur.
Le producteur de la France en face note que la famille est la seule valeur encore forte aujourd’hui et il prévient que nous vivrons une cassure générationnelle et une cassure sociale. Yann Barthès est aujourd’hui l’idole de sa génération, une popularité en majorité liée à ses critiques sur la télévision et le discours politique. Ce phénomène est révélateur de l’état d’esprit ambiant.
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Philippe Chazal rappelle que, au-delà des résultats contrastés selon les médias, la représentation de la société est un enjeu majeur du service public. Il y a encore aujourd’hui une grande difficulté à traiter de la jeunesse à la télé et à s’adresser à elle.
Valéry du Peloux soulève la question du renouvellement des générations. Il faut adopter le modèle vertueux de la transmission des connaissances.
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Perrine Lefebvre nous parle de la rentrée de TF1 avec une offre de divertissement concentrée autour des marques (Masterchef, Danse avec les stars) qui fonctionnent bien. Les marques sont bien installées et cela se ressent dans les audiences, la saison 4 de Danse avec les stars fait de meilleures audiences que la précédente par exemple. Perrine Lefebvre se félicite d’être aujourd’hui plutôt dans un cycle vertueux.
Il y a eu un développement digital important renforcé notamment sur Danse avec les stars. L’objectif : faire de chaque divertissement un événement sur le digital et permettre ainsi au téléspectateur/internaute de vivre les programmes de l’intérieur. Dans ce contexte, le dispositif TF1 connect permet de ménager des décrochages, il se fait aussi le relais de toutes les questions des internautes. C’est en effet un espace d’interactivité et de partage de contenus inédits.
Aujourd’hui TF1 n’envisage plus de lancer une émission seulement antenne mais anticipe tous les projets dans le cadre d’une approche 360 et ouvre ainsi des portes de qualification d’audience et de monétisation.
Perrine Lefebve nous annonce qu’il y aura du nouveau avec les prochains NRJ Music Awards en partenariat avec les équipes d’e-TF1. Il ne faut pas rester sur les vieux modèles de cibles. Danse avec les stars saison 4 : c’est 6 millions de téléspectateurs et 38% de PDA sociale. TF1 est aujourd’hui la chaîne qui possède la plus forte empreinte sociale.
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Gilles Bruno s’interroge sur la corrélation entre Tweet et audience TV. Certains programmes se prêtent plus à une discussion digitale, ceci étant dans quelle mesure l’implication des téléspectateurs sur les réseaux sociaux participe à l’audience ?
Concernant les contenus digitaux, on peut aussi se demander dans quelle proportion cela est rentable. Ainsi comment monétiser la communauté ?
Dans ce contexte, Matthieu Viala se demande pourquoi le service public peine à développer ses marques.
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Gildas le Roux dirige la Compagnie des Indes qui produit des programmes de stock (6 documentaires par an) et possède également une partie captation et de recréation de spectacles vivants.
Le théâtre filmé, s’il est absent de cette rentrée, a pourtant fait de bonnes audiences. 8 millions 250 000 téléspectateurs pour Les fugueuses avec Muriel Robin et Line Renaud sur France 2.
La Compagnie des Indes filme aussi la mémoire du festival d’Avignon. A sa charge. Gildas le Roux explique que cela permet de donner un sens supplémentaire à la notion de service public avec France 2 et France 3 qui couvrent chaque année le festival d’Avignon et les Chorégies d’Orange.
Produire des pièces grand public pour la télévision donne la possibilité de faire des choix en soutenant en parallèle des plus petits projets moins rémunérateurs. De plus, pour les diffuseurs, une pièce de théâtre avec Muriel Robin coûte beaucoup moins cher qu’une fiction.
Gildas le Roux évoque aussi l’opéra qui se développe dans les cinémas et le cirque qui fait les meilleures audiences sur Gulli. Ce sont des économies différentes mais il insiste sur le fait qu’il est primordial de faire partager les cultures et de proposer de la diversité à la télévision. Dans ce contexte, il revient sur l’arrêt de l’émission Taratata, un choix qu’il juge regrettable.
Jérôme Caza attire l’attention des membres sur la diffusion du théâtre sur les chaînes de France Télévisions. Le groupe investit en effet 15 millions d’euros dans le théâtre et 80% de la production est diffusée entre minuit et 4h c'est-à-dire au moment où personne n’est devant l’écran. Il ajoute que c’est un pur scandale et qu’en ce sens la diffusion du théâtre avant minuit est un combat.
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Matthieu Viala prend la parole et nous parle de la fiction, un secteur qui selon lui connaît un retour après plusieurs années difficiles.
Il fait néanmoins le constat d’un vieillissement de la fiction qu’il juge lié structurellement à l’arrêt de la publicité en soirée sur les chaînes du service public. Il explique ainsi que France Télévisions a en conséquence totalement abandonné la cible des moins de 50 ans. Matthieu Viala ajoute que les jeunes personnages des fictions n’adoptent pas en réalité le langage jeune, il y a un décalage.
L’âge moyen du téléspectateur de Chérif – produit par MakingProd pour France 2 – est 61,5 ans. En matière de fiction, les téléspectateurs sont plus âgés que la moyenne des chaînes. Matthieu Viala estime que la téléréalité montre une certaine vision de la France, en un sens plus représentative car plus mixte.
En fiction, ce sont les auteurs qui renouvellent le genre. Les nouvelles idées qui émergent sont parfois difficiles à mettre en œuvre. Créer un grand nombre d’épisodes est difficile, d’autant plus qu’il faut réussir à fidéliser le téléspectateur au fil des épisodes et surtout d‘une saison sur l’autre.
En ce sens, Matthieu Viala rappelle qu’il est compliqué d’alimenter deux heures de fiction par soir, cela est beaucoup trop couteux. En France nous sommes les seuls à diffuser deux épisodes inédits d’une série à la suite. De plus l’attente entre deux saisons est trop longue : 33 mois entre deux saisons pour Engrenages, ce qui implique de devoir faire beaucoup de communication autour des programmes.
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Au terme de cette séance riche en débats, un bilan contrasté sur la rentrée télévisuelle 2013 avec de belles réussites et des genres absents de la grille, un service public qui ne remplit pas toujours ses missions et une télévision résolument plus attentive à ce qui se passe sur internet et les réseaux sociaux. Si tout le monde s’accorde à dire aujourd’hui que la diffusion antenne seule ne suffit plus, tous ne savent pas encore quoi faire de cette audience sociale, ni même comment la monétiser durablement.