Session du 20/06/2014
Philippe Chazal rappelle en introduction l’actualité du Club. Il s’est donné pour mission de développer une filière de création de formats en France
Les médias télévisés semblent être dominés par une pensée unique. Dans ce contexte, certains producteurs se battent pour qu’une minorité devienne visible et accède à la parole. Qui maîtrise le discours ? Il faut faire attention à la déconnexion du média à la société. Sur cette thématique, le panel développera deux axes : rappeler quelques exemples de productions, mettre l’accent sur qu’il faudrait mobiliser.
LE PANEL :
Alexandre Hallier, producteur, La générale de production
Paul Moreira, journaliste reporter, fondateur de Premières Lignes
Tancrède Ramonet, producteur, Temps noir
Tancrède Ramonet s’interroge : Qu’est-ce que la pensée unique ? Comment on lie la question des minorités visibles ?
Selon lui, la pensée unique est la pensée des dominants, des possédants. Il s’agit de la pensée d’une minorité très visible qui s’impose comme une idéologie. Pour changer cela, les personnes doivent prendre la parole. Il faut les faire intervenir directement : par exemple un film sur l’Afrique fait par des Africains.
Paul Moreira considère que la télévision peut être un outil populaire. Il est de la responsabilité de chacun d’en faire quelque chose de bien. Le journaliste a une utilité sociale fondamentale. En télévision selon lui, il doit y avoir un droit de regard sur la société. Premières lignes, l’agence qu’il a fondée produit Cash Investigation. Il propose d’installer un modèle à l’anglaise et de revoir au passage les liens entre pouvoir et télévision. Paul Moreira évoque la possibilité de créer un comité des sages qui veillerait à l’indépendance des rédactions du service public. Il faut garantir structurellement de ne pas avoir la pression du gouvernement.
Philippe Chazal s’étonne que le Contrat d’objectifs et de moyens soit très centré sur la profession et ne parle pas du tout de diversité de programmes.
Alexandre Hallier partage le constat sur le métier de journaliste. Leur image s’est dégradée aux yeux de l’opinion, une mauvaise réputation pas complètement imméritée selon lui. Pourtant il est
important d’assumer le statut d’expert. Le noeud du problème réside dans l’incapacité de faire émerger un discours. Il prend l’exemple du numérique et constate que les médias sont aujourd’hui tétanisés par ce qu’on pourrait appeler une « dictature technologique ». Il faut cependant remettre de la distance.
Le métier de producteur a beaucoup évolué en 15 ans. Alexandre Hallier est aujourd’hui pleinement éditeur de contenus. Il rappelle que le service public a un rôle social à jouer et cité l’exemple de Génération Quoi.
Alexandre Hallier se dit pour l’émergence d’un discours sur l’audiovisuel et la structuration d’un écosystème. Le problème de cette industrie, c’est l’absence de recherche et développement. Pour cela il faut une vraie volonté politique.
Qui s’occupe du discours politique ? Tous notent que la question de l’audiovisuel parce qu’elle est considérée comme technique n’est pas très audible chez les politiques. Il revient aux professionnels de porter le message.
Tancrède Ramonet pose la question de l’organisation patronale à l’intérieur du secteur et en même temps de la répartition des richesses. Dans ce contexte, la question de l’indépendance est assez compliquée.
Philippe Chazal pose la question de la formation. Est-ce que les écoles ne reproduisent pas la même hiérarchie sociale. Paul Moreira raconte qu’en 1985, une agence de presse avait été créée dans une cité, elle proposait un regard différent sur l’actualité et un discours qu’on entendait peu dans les journaux télévisés. On s’interroge alors sur la maîtrise de la parole. Là-dessus, tous ne sont pas égaux notamment pour des problèmes de vocabulaire.
Tancrède Ramonet note que la télévision n’est plus un média très regardé. Le risque de fractionnement est fort. Philippe Chazal évoque les chaînes d’opinion. Peut-on imaginer une chaîne islamique par exemple ? Paul Moreira pense que le dispositif serait trop clivant, pas assez républicain. Tancrède Ramonet ajoute qu’en Corée du Sud, il existe deux chaînes d’info qui reprennent chacune le point de vue d’un parti politique. L’augmentation du nombre de canal n’est pas ici synonyme d’augmentation du nombre de points de vue. Le discours se rétrécit. Alexandre Hallier insiste sur le fait qu’il est primordial de garantir la pluralité des opinions.
Philippe Chazal interroge le panel sur la réussite de la TNT en termes de points de vue. Tancrède Ramonet pense qu’avec l’avènement de la TNT, le but n’était pas de faire de l’éducation populaire. L’objectif premier reste bien le divertissement.
La télé réalité n’est-elle pas le reflet d’une certaine minorité rendue alors plus visible ? Tancrède Ramonet estime qu’il ne s’agit pas de diversité. Les personnes sont castées dans ce but de représentation. Cela ne fait pas une diversité lorsqu’elle a un point de vue compatible. Pour Paul Moreira, la TNT est faite par les équipes du marketing, c’est la logique des chaînes commerciales. Une logique qui gagne également le service public, selon Alexandre Hallier. Le discours infuse tous les rapports. La générale de production a notamment produit un documentaire sur Apple , la tyrannie du cool. Ou comment faire de la contre-culture un outil marketing puissant et massif.
En fin de session, Tancrède Ramonet pose la question du monopole de Médiamétrie. Une mesure d’audience et une manière de compter ultra commerciale, selon lui, car cela ne prend pas en compte toute la vie du format. Médiamétrie mesure seulement l’audience télé et depuis peu le visionnage
sur le replay des sites compagnons des chaînes. Mais les programmes de stock ont une durée de vie plus longue et parfois des ambitions internationales, ils peuvent être vendu et ainsi voyager à travers le monde.
C’est précisément ce qui s’est produit pour son documentaire sur Cuba, un programme suivi par 180 000 personnes sur Arte (devrait-on dire seulement) mais diffusé sur TV5 en Afrique et qui a été co-produit avec la BBC. Un partenariat qui lui a permis d’être largement diffusé et d’atteindre un public plus large.
On sort alors d’un point de vue franco-français pour relayer un discours plus large, plus concernant. Une mission ambitieuse : s’inscrire dans un mouvement global et représenter la France à l’étranger.